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bonnes ; s’ils ne l’ont pas, le Sultan sera débordé par un fanatisme dont il ne sera bientôt plus le maître, et placé dans l’alternative d’en devenir l’instrument ou la victime. Encore une fois, deux politiques peuvent se trouver en présence, celle qui voudrait que le Sultan du Maroc fût un mannequin entre nos mains, — elle a misérablement échoué avec Abd-el-Aziz qui était si bien le personnage de l’emploi, — et celle qui veut que le Sultan soit un vrai souverain avec lequel nous aurons à compter et qui aura, de son côté, bien entendu, à compter avec nous.

Nous, cela veut dire l’Europe. Sans doute, la France a des intérêts spéciaux à protéger et, par conséquent, un rôle spécial à jouer au Maroc. L’Espagne également. A cet égard, ce qu’on nous permettra d’appeler l’évidence des choses est telle que Moulaï Hafid, on vient de le voir, y a conformé ses premières démarches à Tanger. On a dit de lui qu’il était le client de l’Allemagne, et il y a eu en effet quelques nuances, d’ailleurs peu accentuées, entre la manière dont il a été traité par l’Allemagne et par les autres puissances. Ses envoyés ont été reçus officieusement à Berlin, tandis qu’ils ne l’ont pas été ailleurs. Malgré cela, lorsque El Mnebhi a voulu, à Tanger, se mettre en rapport avec l’Europe, où est-il allé tout d’abord ? Est-ce à la légation d’Allemagne ? Non, par une sorte de reconnaissance instinctive de l’Acte d’Algésiras, c’est à la légation de France qu’il s’est rendu, et il ne l’a pas fait sans réflexion. Il savait fort bien, et, s’il ne l’avait pas su, l’histoire de ces dernières années le lui aurait appris, qu’il n’y a de politique stable que celle qui s’appuie sur des intérêts permanens. La France, ne fût-ce qu’à cause de sa situation de voisine sur une longue frontière, a des intérêts de ce genre au Maroc. Le Sultan du Maroc, quel qu’il soit, la trouvera à côté de lui, non pas seulement aujourd’hui, mais demain, mais toujours, et ce n’est pas la moindre preuve d’intelligence que Moulaï Haûd a donnée que la manière dont il s’est inspiré de cette situation. Mais enfin, si la France et l’Espagne méritent de sa part une attention particulière, les autres puissances ont aussi leurs intérêts et leurs droits. Ces droits ont été définis par l’Acte d’Algésiras qui reste notre charte commune. Elle nous suffit : il n’y a aucune raison de la modifier, au moins aujourd’hui pour le moment. L’avenir seul, l’expérience, l’action personnelle du nouveau souverain montreront, au bout de quelque temps, dans quelle mesure la sécurité intérieure est assurée au Maroc par un gouvernement plus énergique, et dans quelle mesure aussi l’Europe peut se relâcher dans l’exercice