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établir un protectorat imité de celui que nous exerçons à Tunis, nous avons besoin à Fez d’un sultan capable de se tirer d’affaire lui-même. Abd-el-Aziz ne le pouvait évidemment pas. C’est un de ces hommes à type flasque dont a parlé un jour le président Roosevelt. Nous respectons son malheur, mais la responsabilité lui en appartient : le gouvernement de la République a été finalement assez avisé pour ne pas y engager la sienne.

On connaît moins Moulaï Hafid que son frère : cependant, quelques incidens où on l’a vu à l’œuvre ont permis déjà de démêler certains traits de son caractère. Est-ce vraiment un fanatique, autour duquel se sont naturellement ralliés tous les autres fanatiques du Maroc, et qui, autant pour leur complaire que pour satisfaire à ses propres inclinations, a déchaîné contre nous la guerre sainte, non seulement dans la Chaouïa, mais encore dans le Sud oranais ? Il semble bien que ce soit là un portrait de fantaisie. Moulaï Hafid était gouverneur de Marakech au moment où le docteur Mauchamp a été assassiné, et nos agens lui ont rendu, à ce moment, la justice que son attitude avait été excellente : c’est grâce à lui que l’explosion de fanatisme qui menaçait de se produire a pu être étouffée. On le donnait alors pour un homme intelligent, circonspect, modéré. Oserons-nous dire que rien, depuis cette époque, n’a démenti ce premier jugement qu’on portait sur lui ? Moulaï Hafid s’est insurgé contre son frère. Abd-el-Aziz était devenu très impopulaire ; l’occasion était tentante pour un homme ambitieux ; elle l’était à un tel point que si Moulaï Hafid, résistant aux sollicitations dont il était l’objet, avait refusé d’en profiter, un autre l’aurait fait à sa place. Moulaï Hafid s’est donc proclamé, d’abord à lui seul, sultan du Maroc ; mais depuis, il est entré à Fez, et il a été consacré suivant toutes les formes prescrites par le Coran. Alors, il a demandé aux puissances de le reconnaître, ce qui était à coup sûr prématuré : les Marocains eux-mêmes n’admettent comme définitive la manifestation de la volonté de Dieu que lorsque la force l’a ratifiée. A travers toutes ces circonstances, si difficiles et si délicates pour lui, quels ont été l’attitude et le langage de Moulaï Hafid ? Son langage ne pouvait avoir rien d’officiel, puisque les puissances refusaient de l’écouter ; mais il a eu presque constamment auprès de lui des journalistes français auxquels il faisait ses confidences afin qu’elle nous fussent répétées. Toutes ses paroles ont été sages, prudentes, conciliantes. Le thème en était toujours le même, à savoir que Moulaï Hafid ne demandait qu’à s’entendre avec les puissances, et notamment avec nous. il ne