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combien plus profondément, à la fois, nous saisissons les motifs de sa souffrance et nous souffrons avec lui, simplement parce que son nouveau biographe, de par le fait de son catholicisme, s’est trouvé en état de l’approcher de plus près, de pénétrer plus avant au secret de son cœur !


Oui, c’est en vérité un beau livre qui est né de cette heureuse combinaison de piété, d’érudition, et de poésie ! Si l’ouvrage de M. Sabatier est, certes, plus voisin de la Vie de Jésus par son intention et par sa méthode, on peut dire qu’une trace vivante de l’art subtil de Renan se retrouve, à chaque page, dans le Saint François de M. Jœrgensen : avec la même richesse d’images très simples et très expressives, le même ton abandonné et cependant toujours sûr, les mêmes procédés d’interprétation de la vie d’autrefois par de constans rappels des choses d’aujourd’hui. L’histoire la plus authentique se déroule, devant nous, avec la mobilité et l’attrait d’un roman : et peu s’en faut que nous ne regrettions d’avoir continuellement à nous interrompre de notre rêve pour nous entendre affirmer que ce rêve délicieux s’appuie sur tel document, encore confirmé par tel autre, sans que l’auteur consente jamais à laisser passer le moindre détail dont l’exactitude ne lui ait pas été strictement démontrée. Le loup de Gubbio, notamment, accueilli par Renan comme l’un des membres les plus édifians de la troupe pittoresque des amis de François, voici qu’il s’en va rejoindre les bêtes fabuleuses de la mythologie chrétienne, la Tarasque de sainte Marthe et le dragon de saint Georges ! La fameuse Indulgence de la Portioncule, que M. Sabatier, après de longues hésitations, s’était décidé à admettre pour vraie, nous avons le chagrin de la voir dépouillée, tour à tour, de la masse des ornemens singuliers et touchans dont l’avaient revêtue les générations, pour découvrir enfin que force nous est de la rejeter tout entière ! Et vingt autres épisodes traditionnels sont ainsi éliminés, tandis que vingt autres ne figurent plus qu’en note, comme des légendes plus ou moins suspectes, fournissant à l’auteur autant d’occasions de déployer la souplesse et le mordant de sa verve critique.

Mais qu’on n’imagine pas que ces suppressions résultent d’un parti pris de M. Jœrgensen contre le miracle, ni qu’elles donnent, à son livre, le moins du monde, l’allure froide et morne de ces vies de saints où bon nombre d’écrivains catholiques d’à présent, sous prétexte de satisfaire aux exigences de la philosophie et de la critique « modernes, » réduisent les figures d’un saint Eustache ou d’un saint