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nous donner, par exemple, les traductions en prose, même les plus fidèles, de la Divine Comédie ou du Canzoniere. Qui ne se rappelle, par exemple, le petit article des Nouvelles études d’histoire religieuse où Renan, longtemps avant que le succès de l’ouvrage de M. Sabatier eût ouvert la voie aux recherches d’histoire franciscaine dans l’Europe entière, a esquissé une image, toute superficielle et rapide, de saint François d’Assise ? L’image improvisée n’avait pour elle ni le mérite de la nouveauté, ni celui du relief pittoresque, et peut-être même n’y sentions-nous pas ce ton d’admiration et de respect sans réserve dont l’esprit, foncièrement dédaigneux, de Renan, n’était guère capable dans son appréciation des hommes et des choses ; et cependant, combien, même au lecteur le plus religieux, combien cette image trop « humanisée » du saint a paru touchante en même temps que vivante, simplement parce que la beauté poétique du modèle y était traduite par les yeux et la main enchantés d’un poète ! Hélas ! ce don de « poésie » n’a pas été accordé à M. Sabatier ; et de là vient que son livre, modèle incomparable d’érudition, de loyale et pénétrante évocation historique, comme aussi, — très certainement, — de fervente piété « franciscaine, » ne nous livre, pour ainsi dire, que les dehors de la personne et de l’œuvre de saint François, sans atteindre, sous eux, l’essence véritable de cette « fleur de sainteté » dont une suite nombreuse de poètes, depuis Thomas de Celano, le mystique auteur du Dies iræ, jusqu’au railleur désabusé de Caliban et de l’Abbesse de Jouarre, ont respiré et nous ont transmis l’adorable parfum.

Or voici que, muni d’un appareil d’érudition à peine moins solide et moins vaste que celui de M. Sabatier, après de patientes années d’exploration documentaire dans les archives de Rome et d’activé méditation parmi la solitude vénérable des vieux couvens de l’Ombrie, un nouveau poète a résolu d’aborder, à son tour, un sujet que l’on pouvait croire définitivement épuisé ! En un gros livre de plus de 600 pages, où presque toutes les lignes du texte s’accompagnent de notes signalant et discutant les sources utilisées, M. Johannes Jœrgensen nous offre une Vie de Saint François qui n’est, d’un bout à l’autre, qu’un poème, une série toujours variée de tableaux et de scènes, nous conduisant de proche en proche sur les pas du Pauvre d’Assise, sauf à nous arrêter avec lui, par instans, dans un ermitage de la montagne ou sur les bords d’un ruisseau de la vallée, pour prier, pour chanter, ou pour rêver doucement. Et jamais, — je ne crains pas de l’affirmer, — depuis les temps merveilleux de Celano et de