Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un héros indiscipliné, révolté, ravagé par les passions aux griffes de vautour, traqué par les gens en place et raillé par les stupides bourgeois, un véritable héros 1830, un « artiste » enfin. »

Dans la conception et dans l’exécution du Requiem, tous les traits du romantisme le trouvent réunis. Il semble que le musicien ait voulu porter au-delà même de la mort son goût de l’extraordinaire et de l’énorme, son tempérament frénétique et l’exaspération constitutionnelle de sa sensibilité. Comme tous ceux de sa génération, « il est hanté par le moyen âge. Il s’est exalté à lire la Notre-Dame de Victor Hugo, où les pierres mêmes s’animent d’une vie fantomatique et visionnaire… Pourquoi une Messe des Morts ne serait-elle pas aussi, comme la cathédrale fantastique, un colossal poème de la prière et de l’épouvante… Oppositions dramatiques, saisissantes… Le texte de la Messe des Morts devient un scénario, un programme pour une romantique et pittoresque symphonie mêlée de chœurs. »

Oui, c’est bien cela. Mais c’est aussi quelque chose de plus, ou quelqu’un : encore, toujours Berlioz. Et parce que c’est lui, qui n’est pas croyant, lui, qui dans Saint-Pierre de Rome lisait Byron, la croyance est ce qui manque le plus à son œuvre ultra-pittoresque, grandiose, et, si l’on veut, formidable. Formidable surtout, voilà peut-être le caractère dominant de ce Requiem. La terreur, sans la foi, la terreur de la mort et du néant, M. Romain Rolland, dans l’étude que nous citons plus haut, en avait déjà montré Berlioz affreusement possédé : « Cette mort qu’il implore, il en a peur. C’est le sentiment le plus fort, le plus âpre, le plus vrai qu’il y ait en lui. Aucun musicien, depuis le vieux Roland de Lassus, ne l’a jamais éprouvé avec cette intensité[1]. » M. Boschot aussi reconnaît dans la musique du Requiem l’effroi que donne, devant la plénitude même de la vie, la certitude qu’elle est vaine, périssable tout entière et pour jamais. « Sentiment sincère chez Berlioz, conclut-il à son tour, sentiment profond, obsédant. Dès que le trouble de la jeunesse ne l’enivrera plus, c’est lui, c’est presque lui seul, dont il s’abreuvera douloureusement pendant le long crépuscule de sa précoce lassitude. Aussi toutes les pages de cette Messe des Morts, dans leur véhémence, dans leur truculence romantique et dans leurs diligentes combinaisons pour l’effet, restent vivantes : on y respire l’âme tumultueuse et le génie sincère, spontané (jusque dans ses artifices) d’Hector Berlioz. »

Hector Berlioz, et lui tout entier, non seulement avec son

  1. Musiciens d’aujourd’hui (Berlioz).