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oublié que soit le « mélologue, » il n’en reste pas moins un curieux, un précieux document. « Détachée du héros romantique, l’œuvre est morte. Rattachée à lui, elle vit de son âme même : elle nous donne une série de reflets immédiats, de gestes et de cris réflexes où nous pouvons découvrir plus que l’auteur, c’est-à-dire l’homme. »

Cette œuvre, avec la Symphonie fantastique, formera le programme du premier concert donné par Berlioz revenant d’Italie (au Conservatoire, en décembre 1832). Et voyez ici déjà, pour ainsi dire au seuil de la carrière du musicien, l’action et la réaction réciproque de l’art et de la destinée. Henriette Smithson assiste au concert. Elle écoute les deux symphonies dramatiques dont elle est, on le sait, elle le sait elle-même, l’héroïne, tour à tour adorée et non seulement maudite, mais injuriée avec fureur, par l’extravagant amoureux qui la poursuivit jadis et qu’alors elle refusa de connaître. Depuis, et sur la foi de calomnieux rapports, la croyant indigne, infâme, il a consacré son jeune génie (finale de la Symphonie fantastique) à la détester et à l’avilir. Cette musique cependant, pour elle injurieuse, l’attire. Elle l’écoute, peut-être sans trop la comprendre. Que va-t-il s’ensuivre ? Déjà, dans l’âme de Berlioz, revenu d’une coupable erreur, l’ancienne flamme, plus ardente, irrésistible, s’est rallumée. Ophelia cette fois se laissera présenter son Hamlet. Elle l’épousera même, non sans peine, et pour leur peine, hélas ! à tous deux, une peine qui sera plus longue et plus cruelle encore. Ainsi, par un fatal retour, de même que la vie de Berlioz a toujours décidé de son œuvre, son œuvre une fois au moins va décider de sa vie, et son génie fera son malheur.

Malheur à peu près sans relâche. Sur les onze années qu’il raconte, l’auteur du présent volume, détaillé comme un journal, pour ne pas dire comme un horaire, n’en a pu trouver d’heureuse qu’une seule. Malheur aussi de plus d’une espèce, qui n’épargne rien de l’artiste, ni sa carrière, ni son foyer : difficultés et déboires, sollicitations et démarches vaines, espérances conçues et déçues aussitôt ; des chefs-d’œuvre qui ne donnent pas la renommée et des travaux (il dira les « travaux forcés ») comme sa besogne de journaliste, qui rapportent tout juste le pain. Trente ans, ou la vie d’un joueur, dit le titre du mélodrame romantique. Berlioz en vérité, plus longtemps que le héros de théâtre, n’a fait que jouer contre la fortune une partie opiniâtre, désespérée, et qu’il devait gagner seulement après sa mort.

Harold en Italie (1833), symphonie avec alto principal, est encore, ainsi que la Fantastique et le Retour à la vie, une symphonie dramatique où, par la voix de l’instrument solo, chante un personnage.