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Moi, je ne suis point riche et ne le fus jamais.
Ce que ce pauvre toit possède, je le mets
Devant toi, si tu veux, d’une âme généreuse,
Voir ce qui fait l’enfant si pâle et soucieuse.
Peut-être cette coupe en bronze ciselé,
Sur laquelle un rameau de vigne est simulé
Si bien qu’il ne lui faut que la couleur pour être
Le frère de celui qui tremble à la fenêtre,
Peut-être cette coupe a-t-elle un peu de prix ;
Elle est depuis longtemps parmi nous ; j’ai compris
Que l’un de nos aïeux l’apporta de Corinthe ;
Prends-la ; les dieux ont fait ma richesse restreinte !

Mais sois compatissant ! Ne m’abandonne pas !
Fais que nous bénissions l’approche de ton pas,
Avec des vœux pour toi, pour tes fils, pour ta fille !
De cette jeune plante écarte la faucille !
Elle n’a pas donné sa fleur encore : elle est
A l’heure où le calice entr’ouvert de l’œillet
Montre le liséré charmant de la corolle ;
Et de tous mes chagrins sa beauté me console !
Permets-lui, tout au moins, d’achever de fleurir !
A nul autre âge il n’est aussi dur de mourir,
Puisqu’on meurt au moment où la vie est si belle
Que le cœur la souhaite et la croit immortelle !
On l’aime moins, plus tard, lorsqu’on la connaît mieux,
On tient moins à la terre, étant plus loin des cieux ;
La saison vient, vers qui chacun des jours nous pousse,
Où la mort par degrés apparaît presque douce,
Où ton art, médecin, peut devenir cruel.
Elle a les bras levés vers les rayons de miel :
Fais que sa main les touche et que sa lèvre y goûte !
Détourne de mon front l’ombre que je redoute !
Et si je t’importune en discours trop pressant,
Agis comme les Dieux : pardonne en m’exauçant !
Et comprends, médecin, que mon vieux cœur s’effraie,
Car c’est le seul enfant du seul enfant que j’aie !