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puisqu’il n’est guère d’objet en vue duquel on ne puisse former une compagnie, a amené et amène tous les jours la création de milliards d’actions, en général d’un montant assez faible pour être à la portée des bourses modestes. Ces actions et les obligations qu’émettent les sociétés forment, avec les fonds d’Etat, l’aliment des Bourses qui existent chez la plupart des nations modernes et qui ont pris, chez un certain nombre d’entre elles, un développement extraordinaire. L’extrême division des capitaux, obtenue par la création de titres d’association ou de créances d’un montant très faible, a permis à des couches de plus en plus étendues de la population de pratiquer ce genre de placement : avec quelques francs d’économie, chacun peut acheter une action, une obligation, ou même une fraction de ces titres, que l’on divise pour les mettre à la portée de la petite épargne. A l’attrait du revenu se joint, dans beaucoup de cas, celui d’une plus-value de capital, que les acheteurs espèrent réaliser et qui les attire davantage encore vers ce genre de placement. On évalue à 7 ou 800 milliards de francs la somme que représente au début du XXe siècle l’addition des rentes, actions et obligations créées et négociées dans le monde ; c’est-à-dire qu’une notable partie de la fortune nationale des divers États est ainsi mobilisée, et subit des fluctuations incessantes par les variations quotidiennes des cours. Ces variations ne traduisent pas seulement les changemens survenus dans la quotité du revenu, le crédit de l’emprunteur ou la sécurité de l’entreprise ; elles sont aussi provoquées par l’état général des marchés, l’abondance ou la rareté des capitaux disponibles, et les courans ondoyans et divers de l’opinion publique qui, à tort ou à raison, pousse les détenteurs de ces titres tantôt à les réaliser, tantôt à les acheter en plus grandes quantités.

Quels que soient d’ailleurs les mouvemens qui agitent cette masse énorme, elle incarne une part considérable des capitaux de l’humanité ; et, grâce au fait qu’elle peut à chaque instant être évaluée en monnaie d’une façon mathématique par l’examen des cotes, elle se rapproche, plus qu’aucune autre richesse ou marchandise, de cette monnaie qui sert à toutes les transactions. Chercher à franchir la mince distance qui sépare le titre mobilier de la monnaie, était une idée qui devait se présenter. Les Américains n’ont pas manqué de la saisir et de l’appliquer. Nous montrerons comment et dans quelle mesure ils y ont