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souffre autant, il ne faut pas y ajouter le travail de la tête. Laisse dire les sots et suis mon avis, je t’en supplie[1]. » Le 1er mars 1832, l’enfant est prise d’un crachement de sang, et on songe à remettre le voyage. Le 28 mai, comme on allait partir, elle « tombe malade, et à grand danger, d’un catarrhe aigu suffocant. » A Marseille, Lamartine s’aperçoit que les cabines de son brick sont « des trous sans lumière et sans air. Si j’eusse connu la construction des bâtimens de la Méditerranée, ma femme et Julia ne m’auraient pas accompagné. » En cours de route, il constate que l’air de la mer fatigue la malade.

Lors de son retour à Beyrouth, il avait retrouvé l’enfant bien portante : un mois plus tard, elle mourait dans les bras de ses parens. Voici, tracé de la main même du père dans une lettre destinée à la famille, le récit de cette agonie[2].


Il n’y avait qu’un mois à peine que j’étais de retour de Jérusalem ; je l’avais laissée souffrant toujours des suites des deux crises qu’elle avait eues à Milly et à Mâcon. Elles se ranimaient de temps en temps ; à force de soins, de lait d’ânesse, de dormir dans une étable à vaches que je lui avais fait construire, de promenades à cheval dans ce délicieux climat, nous les adoucissions, nous les éloignions. Elle était bien en apparence depuis un mois : fraîche, gaie, active, heureuse au-delà de ce que j’ai jamais vu de bonheur sur son visage… Au commencement des pluies, au premier sentiment de fraîcheur dans l’air, le rhume a reparu ; la fièvre qui ne cessait jamais au pouls a repris avec plus de vivacité : nous l’avons couchée et soignée, mais comme pour une bagatelle qui se serait dissipée en peu de jours. Nulle inquiétude pour le moment jusqu’au matin du jour fatal.

J’avais passé, les deux nuits précédentes, cinq à six heures auprès de son lit à lui raconter des histoires dont elle était insatiable et qui la calmaient et l’empêchaient de se plaindre ; elle dormit encore jusqu’à cinq heures du matin. L’accès de toux et d’étouffement la prit alors violemment, le redoublement fut long et terrible ; je commençai à frémir, je la magnétisai et elle s’endormit, encore jusqu’à midi. Je repris espoir. A midi, ma femme adjoignit à notre médecin ordinaire un médecin anglais fort distingué arrivé ici depuis peu, on lui donna le calomel pour déterminer une réaction sur les entrailles ; nous espérâmes jusqu’à six heures du soir elle nous souriait encore à chaque relâche du mal. J’avais sa tête dans mon bras et Marianne était à genoux devant elle. Bientôt l’embarras de respiration augmenta, quelques légères convulsions survinrent, elle resta les yeux fermés respirant à peine jusqu’à deux heures de la nuit où sa respiration, se raccourcissant toujours, cessa tout à fait !…

J’espère qu’elle n’a pas eu ou à peine quelques minutes dans la journée

  1. A Mme de Lamartine, à Mâcon. — 17 janvier 1831.
  2. Communiquée par Mlle Laure Le Tellier. — La suscription manque.