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Crut-il répondre à leurs attaques en expliquant son but ? Ou fut-ce démangeaison littéraire chez un homme qui écrivait avec l’éloquence facile et parfois pittoresque des Senault, des Coeffeteau et des Camus ? Toujours est-il qu’en 1644, — tout « en courant çà et là » tendre l’escarcelle au défaut, des dames quêteuses » désignées par la Reine, et qui l’abandonnaient, — Portmorand composa, « feuille à feuille, » deux éditions du petit livre[1] qui devait causer sa perte, — livre qui, évidemment, était moins l’exposé du peu qu’il avait déjà fait, qu’un programme de ses théories et de ses ambitions.

De ce programme très touffu, et dont la complexité luxuriante rappelle tout de suite le zèle polymorphe de la Compagnie à laquelle Portmorand appartenait, ce qui se dégage d’abord, c’est un projet scolaire.

La « Famille Saint-Joseph » est, avant tout, une école, et, d’abord, une école de gardons, internes et externes, pris à l’âge de quatorze ou quinze ans, « afin qu’ils soient plus tôt façonnés et placés, et qu’il y ait ainsi plus de places vacantes. » Non point d’enfans du peuple, pour lesquels on a fait assez dans ces dernières années. Sans les exclure, — car Portmorand veut être tout à tous, — il prétend attirer principalement les « enfans des nobles et honnêtes maisons incommodées, » de la petite bourgeoisie, des fonctionnaires royaux, et les jeunes huguenots même : on les convertira plus aisément en les mêlant avec les catholiques.

Mais ce qu’on ne confondra pas, — dans ce vaste établissement, « en cinq corps de bâtiment, » où Portmorand voit en rêve son collège, — ce sont les « conditions. » Les jeunes gentilshommes, habillés avec plus d’éclat, mangeront aux tables des gouverneurs, et ne feront que leurs lits ; « les petits bourgeois seront mis à balayer toutes les chambres, les montées et les classes, » et les enfans du peuple, « qui sont destinés à être laquais, servent à toutes les tables et mangent après les autres et ailleurs. »

Des études, Portmorand se soucie aussi peu que la plupart des pieux fondateurs d’écoles durant tout le cours du XVIIe siècle. Lire, écrire, « chiffrer » et calculer suffit, avec beaucoup de catéchisme et, même, chaque jour, « une grande leçon de théologie. » Ceux dont on veut « faire de bons prestres et maistres d’escholes, » iront terminer leurs études dans les collèges de Paris, en se

  1. Idée de la famille Saint-Joseph ; intitulée dans la 2e édition : La famille chrétienne sous la conduite de saint Joseph ; Paris, Targa (ou : chez l’autheur), 1644.