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revendicable par lui sur la société. Il n’est pas créancier légal, mais créancier moral, tout comme il est, de son côté, débiteur moral, débiteur légal, seulement pour des objets déterminés, communs à tous : impôts, service militaire, obligations civiles et politiques, etc. Ce droit n’est pas fait d’abstractions et de généralités, mais de choses palpables et définissables. La société est donc tenue moralement à protéger ceux qui sont sans travail et sans subsistance ; elle a envers eux ce que nous avons appelé, pour notre part, une dette générale de « justice réparative ; » cette dette se particularise selon des formes que la loi et l’administration règlent : secours donnés par les communes ou par l’État, assistance par le travail, etc. Mais, encore une fois, l’individu comme tel ne peut pas être armé légalement devant la société entière. Les précisions juridiques manquent donc pour toute conclusion proprement socialiste, collectiviste, communiste ; elles n’existent que pour les réformes de justice se traduisant par toutes les institutions possibles de solidarité, qui n’empêchent pas la liberté individuelle, mais, au contraire, la protègent.

— La tendance à la « socialisation du droit » se manifeste, en fait, dit-on, par la législation protectrice du travail, déjà si touffue : protection légale de la sécurité dans l’industrie, contrôle constant et minutieux du travail des usines et des ateliers, restriction du travail des enfans et des femmes, réduction des heures de travail et tendance à fixer légalement la durée normale à huit heures, dès que la chose sera possible ; assurance obligatoire contre les accidens et l’invalidité pour la classe la plus nombreuse de la population, assurance parfois contre le chômage, fondation de tribunaux d’arbitrage et de conciliation dans l’industrie, reconnaissance des syndicats professionnels, du droit de réunion, du droit de coalition, sanction sociale de la légalité des grèves, organisation officielle du placement ouvrier, tentatives pour abolir le système du sweating dans l’industrie du petit atelier, interdiction du marchandage et du système du truck, tentatives faites en vue d’établir de nouvelles formes rationnelles de salaire, comme la participation des ouvriers aux bénéfices, l’échelle mobile (le sliding scale), la rétribution par primes, etc. On cite encore l’établissement d’un impôt toujours plus progressif pour les classes supérieures, avec réduction en faveur des classes inférieures,