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« réduite au minimum. Dans le monde socialiste, tels seront les rapports des forces entre elles (quelles forces, on ne le précise point), qu’aucun individu, aucun groupe ne pourra longtemps « abuser de la force ; » — abuser, pourquoi ? La force étant le droit, y aura-t-il abus à être plus fort ? La « démocratisation » politique, puis économique, ajoute M. Menger, enlèvera de plus en plus de leurs raisons d’être à la vanité, à l’hypocrisie, à la cupidité. — Voyez plutôt comme dès aujourd’hui, dans nos démocraties, ces vices tendent à disparaître ! Quoi de plus modeste, de plus sincère, de moins avide que nos politiciens, sinon leurs électeurs ?… Mais la démocratie économique sera sans doute plus heureuse que la « démocratisation » politique : la transformation du régime de la propriété « permettra aux hommes de réaliser les préceptes inutilement répétés par un christianisme trop accommodant pour les intérêts des possédans et des gouvernans. » On ne pourra plus même envier à la commune voisine son brouet communal, en supposant que la cuisine collective de Quimper soit supérieure à celle de Quimperlé. On ne pourra plus envier les femmes de son prochain. Tous enfin « seront libres de s’aimer les uns les autres ; » il ne restera plus qu’à le faire.

Cependant, en cette églogue de l’avenir. M. Menger prévoit quelques défaillances. Pour y remédier, il imagine un système de répression adapté aux mœurs nouvelles ; ce sera une « organisation de l’opinion, » — de cette « opinion » que d’autres socialistes rejettent comme une sanction inutile (toute sanction étant abolie). Le mot organisation a la vertu magique de résoudre les difficultés, surtout si on y joint l’épithète : intégrale. En quoi consistera essentiellement cette « organisation » de l’opinion générale dans la société « organisée ? » En un système de dénonciation publique par la voie des journaux. Vous voyez d’ici les douceurs de ce régime, où la délation sera érigée en pratique journalière, où la presse, l’omnipotente et omnisciente presse, sera la divinité rénovatrice et vengeresse. L’ostracisme par la voix des journaux ! Il est vrai que tous les journalistes seront devenus des sages et des saints, incapables de partialité, d’injustice, de corruption, de chantage, de médisance et de calomnie, juges intègres et infaillibles, incarnations sublimes de l’opinion sociale ! Il n’y aura plus alors de droit de classe, ni de morale de parti, ni de morale de coterie. Espérons-le.

A vrai dire, lorsque M. Menger nous donne, dans son