Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/814

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’existence l’individu peut réclamer de la société comme un droit qui devra lui être assuré.

Les socialistes qui proclament le droit à l’existence sont eux-mêmes fort embarrassés de le concilier avec les deux autres droits. Selon M. Menger, le droit à l’existence et le droit à l’intégralité du produit du travail ne peuvent se réaliser à la fois dans une société, parce que le travail et le besoin ne peuvent coïncider exactement. Ces deux idées fondamentales conduisent, dans leurs conséquences, à des résultats divergens. A tout système socialiste qui proclame le droit au produit intégral du travail, M. Menger reproche de reposer sur l’égoïsme humain, « plus que ne le fait l’organisation juridique actuelle. » Dans le système du droit au produit intégral, chacun ne travaille que pour soi, tandis que, dans le régime actuel, chacun travaille en partie pour soi, en partie pour le revenu sans travail, qui finit par servir à tous. Au contraire, dit M. Menger, « tout système social dont le but dernier est la reconnaissance du droit à l’existence repose sur le sentiment de l’amour du prochain et de la fraternité. » Malheureusement, la formule du droit à l’existence implique cette conclusion : chaque bien devrait appartenir à celui qui en a le besoin le plus pressant. Or, il est impossible de ne pas voir, dit M. Menger, que les besoins de l’individu sont beaucoup trop subjectifs et changeans pour qu’on puisse y rattacher la plus importante de toutes les conséquences juridiques : la répartition des biens. Ce n’est que dans de petites communautés, unies par les liens de la plus étroite affection (par exemple dans la famille) que ce principe de répartition peut être véritablement établi. « Comment, hors de ces conditions exceptionnelles, supposer une entente telle, ou une autorité si judicieuse et si respectée qu’elle puisse assurer « à chaque membre de la société les biens et les services nécessaires ? » Comment, en outre, si on confère à l’État la responsabilité des moyens d’existence, lui refuser « un droit de contrôle sur le nombre de bouches qu’il aura à nourrir, autrement dit le droit de limiter la population en réglementant les mariages et les naissances ? » Comment ne tirerait-il pas encore de cette responsabilité le droit d’imposer à chaque co-partageant une somme de travail déterminée dans sa nature et sa quantité, comme moyen pour chaque individu d’acquérir les vivres, le couvert, toutes les autres satisfactions des besoins de la vie journalière, que le socialisme pourrait envisager comme