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noyé. Il défaillait à son tour ; la vague du grand désir déferlait du cœur à la tête, et comme il s’était levé, ne sachant pas s’il fallait fuir ou bien rester, il vit Madeleine fermer les yeux, se coucher sur l’ample coussin qu’elle serrait contre sa taille. Elle venait sans doute de s’évanouir. Il s’approcha de l’enfant pâmée, et il allait s’abattre à ses pieds, lui prendre les mains, lui dire à l’oreille les mots qui réveillent ceux qui se meurent, parce qu’ils sont comme un vin fort et comme une essence de vie. Mais il recula soudain, détourna les yeux du divan où Madeleine agonisait. Il se disait que cette enfant était la fille de Raimbault, et qu’il allait commettre une infamie. Non, il ne pouvait pas l’aimer, il ne le devait pas, au moins ainsi, à l’insu du père et de son ami. Il eut le sentiment très net, à cette minute, que quelque chose de très saint, de très beau, de très juste aussi, conditionnait et dominait l’amour lui-même : la Famille. Il voulut sonner, appeler les gens. Madeleine, qui n’était qu’à moitié évanouie, fit un effort pour se lever, prononça d’une voix éteinte :

— Non, ce n’est pas la peine, je me sens mieux, ce ne sera rien. Je suis simplement un peu fatiguée.

Il l’aida à s’étendre sur le divan, disposa les coussins autour d’elle, l’installa ainsi qu’en un nid ; puis, l’enveloppant d’un regard de maître tout ensemble et de frère aîné, il dit, en lui pressant la main :

— Reposez-vous, petite folle, et rêvez, mais bien gentiment.


VII

L’intelligence a sa logique, expéditive et rectiligne, aisée à suivre comme à définir ; moins apparente et pour ainsi dire diffuse, plus incertaine dans ses voies est la logique des passions. Celles-ci naissent, le plus souvent, à notre insu, et à peine en constatons-nous la présence, qu’elles s’affirment tyranniques et déjà adultes. Olivier en fit la réflexion, en se retrouvant dans la rue ; il ne donna, du reste, aucune suite à cette pensée, car jamais moins qu’en ce moment il n’avait éprouvé le besoin de s’analyser. Engagé naguère sur de fausses pistes, semées d’ornières et d’obstacles, et condamné à désirer bien plus qu’à goûter le bonheur, il s’était fait de l’analyse un moyen de consolation ; elle lui tenait lieu de l’amour absent. Comblé maintenant, il ne pouvait, l’eût-il voulu, se regarder vivre ou sentir. La contemplation lui