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Il est rare dans l’histoire qu’un pays ait le droit de s’abandonner à une pareille confiance, et ceux qui l’ont fait ont eu parfois des réveils terribles. Aujourd’hui, pas plus qu’à aucun autre moment, nous ne conseillerions un optimisme qui, poussé aussi loin, serait dangereux ; mais un pessimisme excessif ne le serait pas moins. Il nous semble que, dans le discours qu’il a prononcé devant la colonie française à Berlin, le 14 juillet, M. Jules Cambon a su garder la juste mesure entre l’un et l’autre. Ses paroles, reproduites par la presse, ont eu le plus heureux effet : elles ont opéré comme un sédatif. « Des bruits courent en Europe, a-t-il dit, qui semblent destinés à inquiéter l’opinion et à troubler le calme des esprits : il ne faut pas s’en effrayer. Tous les gouvernemens sont attachés à la paix : il ne faut pas se laisser aller à un pessimisme qui stérilise tout effort, mais avoir dans l’avenir une confiance qui seule permet de venir à bout de difficultés passagères. » Ce son de cloche, discret mais opportun, a eu du retentissement. Oui, tous les gouvernemens veulent la paix et font effort pour la maintenir. Ils s’appliquent à dissiper entre eux les malentendus aussitôt qu’ils apparaissent et se forment, sans attendre comme autrefois que le temps les ait aggravés. Et tout cela est fort bien, tout cela est rassurant, tout cela permet de dire qu’il n’y a aucun danger immédiat : toutefois, si les gouvernemens n’y veillaient pas sans cesse, ces dangers ne tarderaient pas à se montrer.

Ils ne viendraient plus actuellement du côté du Maroc. La question marocaine n’a peut-être pas épuisé tout son venin ; l’avenir reste obscur ; mais, pour le moment, il est hors de doute que la situation s’est détendue, soit localement, soit internationalement. Le gouvernement de la République a donné une marque décisive de la sincérité de ses intentions et de ses promesses en rappelant quelques-unes des troupes de la Chaouïa. Il en a jusqu’ici rappelé bien peu, quelques bataillons à peine ; cela a suffi comme indication, et tout le monde a compris que la marche en avant était terminée ; il n’était pas inutile de donner cette impression après l’incident d’Azemmour. Les dépêches de ces derniers jours présentent la Chaouïa comme vraiment pacifiée. Les moissons y sont, paraît-il, magnifiques et les habitans, rentrés dans leur fermes, ne demandent qu’à en faire la récolte. Les relations commerciales de la province avec Casablanca sont rétablies. Cette malheureuse ville ne vivait plus depuis quelque temps que d’un commerce d’importation qui se faisait par la mer en vue de l’entretien du corps d’occupation ; mais le commerce qu’elle faisait autrefois avec la Chaouïa, et qui était sa vraie richesse, normale et