Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contrebande quand, avant la guerre de Sécession, ils avaient beaucoup de navires marchands et peu de navires de guerre ; ils n’en veulent plus la suppression, maintenant qu’ayant peu de navires marchands et beaucoup de navires de guerre ils en souffriraient moins qu’ils n’en feraient souffrir les autres. Et, quand l’Angleterre, reprenant leur formule, propose d’abolir la contrebande, ils s’y refusent, au grand étonnement de lord Rcay, surpris « de cette attitude des États-Unis, quand, le 28 juillet 1856, dans une note éloquente, le secrétaire d’État Marcy proposait de la restreindre et même de la supprimer. » Mais le général Porter de répondre avec sécheresse : « A la politique démodée de Marcy, je préfère aujourd’hui la politique plus moderne de Roosevelt. »

Le jeune impérialisme des États-Unis abandonne les vieilles maximes qui, si longtemps et si loin, portèrent le renom libéral du peuple américain. Entre l’idéal et l’intérêt, l’ancien accord, qui faisait autrefois la force de ces doctrines, se rompt. Ici la possibilité d’une entente s’éloigne ; mais ailleurs ne s’approche-t-elle pas ?

Si les États-Unis vont aux doctrines militaires, l’Angleterre passerait-elle aux doctrines pacifiques ? Écouterait-elle un peu moins l’intérêt, un peu plus l’idéal ? Au premier abord on pourrait s’y tromper et sans doute on eût bien surpris les hommes d’il y a cinquante ans en leur annonçant que la Grande-Bretagne proposerait la suppression de la contrebande de guerre et ne s’effraierait pas du respect maritime de la propriété privée ennemie. Mais il ne faudrait pas croire que ces nouvelles tendances fussent la conséquence d’un chimérique triomphe de l’idéal sur l’intérêt. Ce sont les pures conséquences, étroitement entendues et rigoureusement calculées, d’un égoïsme constant parmi des faits changeans.

Après avoir vécu d’une vie normale et bien équilibrée, industrielle et agricole, l’Angleterre, de plus en plus tentée par le métier, délaisse la charrue ; tournée vers la mer, elle en tire les matières premières qu’elle veut manufacturer et, gardant son usine chez elle, met sa ferme à l’étranger dans les pays lointains que ses navires rapprochent. La mer, où Shakspeare ne voyait qu’une protection, « la mer d’argent qui fait office de mur pour