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par ses principes et ses sentimens. » On ne peut pas assimiler, poursuit-il, un contumace à un émigré ; « la fuite causée par un décret d’accusation et, à plus forte raison, l’absence prolongée par ce motif, n’a aucun rapport avec le départ volontaire qui constitue le délit de l’émigration ;… la Convention nationale a reconnu que ceux qui, depuis le 31 mai, avaient été persécutés par des mandats d’arrêt, dénonciations, etc., étaient autorisés à reparaître. Talleyrand, décrété d’accusation depuis le 2 septembre 1792, est absolument dans le même cas, car les prisons étaient alors ce que toute la France est devenue depuis sous la tyrannie de Robespierre, et il eût été insensé de se constituer prisonnier au milieu des troubles qui déchiraient alors la République… Plein de confiance dans la justice de la Convention, dans celle des citoyens qui exercent aujourd’hui le pouvoir judiciaire, il demande qu’il lui soit permis de venir se présenter devant le tribunal indiqué pour le juger, sans qu’il puisse être considéré comme émigré, alors qu’il n’est précisément que contumace, et contumace à une époque où les représentons eux-mêmes, menacés ou victimes, ne pouvaient garantir l’appui de la loi aux innocens. »

Envoyée à Mme de Staël ou à des Renaudes, l’ex-grand vicaire toujours fidèle de l’évêché d’Autun, cette supplique servira quand l’heure sera venue. D’ici là, n’ayant rien de mieux à faire pour distraire son attente, Talleyrand s’installa pendant l’été à New-York. Il acheva de s’y lier avec un personnage intéressant, un Anglais, Thomas Law, qu’il avait rencontré au cours de ses voyages. Fonctionnaire du Bengale, plus ou moins méconnu par le gouvernement britannique, Law avait apporté dans le pays des libres expériences son esprit d’entreprises. Ingénieux et pratique, il avait tout de suite trouvé en Talleyrand un partenaire de choix ; il avait piqué sa curiosité en lui expliquant un système d’impôts dont il était l’inventeur, et que l’ancien ami de M. de Calonne a loué sans réserve dans une lettre à lord Lansdowne. Il l’entretenait surtout de l’Inde, de ses ressources, de son avenir, et ce furent sans doute ses récits, joints à ceux des armateurs américains, qui étaient revenus du Bengale en 1794, les poches pleines d’or, qui inspirèrent à Talleyrand l’idée de tenter, sur les bords du Gange, une spéculation. L’ami Beaumetz fut bientôt de la confidence. On fréta un navire ; plusieurs importantes maisons de Philadelphie et des capitalistes