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moins déplacé, sans être consulté, ni prévenu, envoyé parfois à des centaines de kilomètres de la région où il comptait raisonnablement faire sa carrière.

Bien plus encore ; il ne suffit pas que le fonctionnaire ne s’attire aucune hostilité puissante, il faut aussi que sa place ne soit pas convoitée par quelqu’un ayant un ami important, un député, un conseiller général, un maire, « un délégué administratif » notable que le gouvernement croie devoir satisfaire ou ménager On sait, d’autre part, tous les scandales des avancemens administratifs : de jeunes « attachés de cabinet » des ministres, lesquels pullulent aujourd’hui, obtiennent, au bout de deux ou trois ans d’un rôle de parade, des fonctions que les gens de la carrière ne peuvent obtenir avant dix ou quinze ans de bons et distingués services ; on se souvient de ces jeunes gens, ayant échoué à l’examen pour l’auditoriat au Conseil d’Etat ou à la Cour des Comptes et qui, quasi au lendemain de leur échec, furent nommés conseillers référendaires, postes relativement élevés où leur vainqueurs de la veille n’avaient chance d’arriver que huit à dix ans plus tard.

Ce despotisme, ce cynisme de l’Etat à l’endroit de son personnel n’a, sans doute, pas tari le recrutement des fonctions publiques ; mais il a vraisemblablement abaissé la qualité du personnel et il y a semé, il y entretient la plus vive irritation. Or, le nombre des fonctionnaires en France est de plus en plus considérable. M. de Foville, dans des études attentives, et après diverses déductions, arrive à fixer au chiffre de 700 000 les fonctionnaires de l’Etat et des localités en 1908, en augmentation de plus de 30 000 depuis 1906, et cela sans y comprendre les employés de chemins de fer de l’Etat ni, bien entendu, ceux des chemins de fer de l’Ouest, réseau aujourd’hui racheté en principe[1].

Ces 700 000 fonctionnaires sont livrés à toutes les fantaisies des politiciens : ceux-ci prétendent faire peser leur joug, non seulement sur ces agens publics, servi publici, mais sur toute leur parenté, pères, beaux-pères, gendres, fils, même vivant à part et à des centaines de kilomètres de distance : le contrôle hargneux des politiciens s’étend sur toute cette parenté et la menace. Pour se soustraire à cette effroyable servitude ou pour l’atténuer, les fonctionnaires se sont rappelé la vieille maxime

  1. Voir dans l’Économiste français des 4 et 11 juillet 1908 les articles de M. A. de Foville sur la Statistique des fonctionnaires.