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gouvernement parlementaire, en voie vers la liberté, dans un pays voué depuis longtemps au pur despotisme. Le même spectacle a eu lieu ailleurs, sous des formes différentes ; nulle part une révolution ne s’est faite sans douleur ; la Perse n’a pas échappé au sort commun.

Mouzaffer-ed-Dine, qui est venu souvent en France et que Paris a bien connu, était un souverain faible, au nom duquel ses ministres ont gouverné durement, impitoyablement et se sont livrés à des exactions de tous les genres. On peut dire qu’ils ont ruiné le pays. Le grand vizir Aïn-ed-Daouleh a poussé ce système jusqu’à ses dernières conséquences, qui ont été la révolte. Les prêtres en ont pris au premier moment la direction, et elle s’est manifestée sous deux formes différentes : la concentration des forces révolutionnaires dans une ville frontière, sur territoire étranger, et, à Téhéran, — dans les jardins de la légation d’Angleterre, devenue une sorte de Mont Aventin. Mouzaffer-ed-Dine, déjà âgé et malade, céda. Il sacrifia son grand vizir, et donna une constitution à son peuple, en pleurant, dit-on. Cela prouve d’ailleurs qu’il le prenait au sérieux. La Constitution comportait l’élection d’une Chambre des députés dont les droits étaient assez étendus, et qui, comme il arrive toujours, essaya de les étendre encore davantage, de les étendre démesurément. Les affaires publiques n’en allèrent pas beaucoup mieux. Le désordre s’aggrava. La situation financière aussi. Quant à Mouzaffer-ed-Dine, il mourut en janvier 1907, et la couronne passa à son fils, Mohammet-Ali, qui paraît avoir un caractère plus résolu que lui. Dès le premier jour, Mohammet-Ali supporta avec impatience les obligations, c’est-à-dire les restrictions de pouvoir que la Constitution lui imposait. D’ailleurs, il lui jurait fidélité toutes les fois qu’on voulait. Il a rempli cette formalité, d’une manière assez solennelle, à trois ou quatre reprises différentes : au fond de l’âme, il attendait une occasion.

La Chambre la lui a fournie par ses tendances révolutionnaires : il semble bien qu’elle soit devenue un centre et même un asile pour des sociétés plus ou moins anarchistes. Plusieurs ministères se sont succédé. Le premier avait à sa tête Muchir-ed-Daouleh, qui était un homme animé de bonnes dispositions, mais qui n’a pas tardé à être débordé. Son successeur, Amin-ès-Sultan, était, dit-on, un homme distingué et courageux ; il a eu le courage de dire à la Chambre que, si elle avait des droits, elle avait aussi des devoirs ; malheureusement il a été assassiné, sans qu’on ait jamais su par qui. Après lui, le pouvoir a toujours été en s’affaiblissant et les prétentions de la