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libre était définitivement abandonnée. Le grand tribun, quand le débat s’engagea sur l’adoption de ce texte, était au lit. La vie qu’on mène dans les Nominating conventions n’a rien à voir avec l’hygiène. Il avait pris une pneumonie. Dès qu’il sut de quoi il retournait, il bondit de son hôtel et, secoué de fièvre, il escalada la tribune pour protester. Son éloquence fut inutile. L’ordre du jour fut adopté et le télégramme partit. Le monométallisme l’emportait, M. Bryan restait seul.

Cet incident eut, semble-t-il, son importance. Car, depuis lors, M. Bryan n’a plus reparlé de la frappe libre ou, s’il en a reparlé, ce fut pour la « débarquer. » Sans doute, en 1904, il ne se priva pas, dans sa revue le Commoner, de dénoncer « les méthodes dissimulées et tortueuses » de ses amis. Il soutint néanmoins M. Parker en disant : « Malgré les fautes commises, le ticket démocrate représente la cause de la paix, de la raison, de l’arbitrage, contre la guerre, la force, la conquête, l’impérialisme incarnés en M. Boosevelt : » Au mois d’octobre, M. Parker lui exprima sa reconnaissance pour son dévoué concours, concours inutile d’ailleurs, car M. Boosevelt fut élu à une grande majorité. Et M. Bryan put s offrir la satisfaction d’expliquer ce succès en disant à son parti : « Voilà où vous a conduits votre retour au conservatisme ! » Il ajoutait qu’il restait, plus que jamais, fidèle à ses idées, qu’il allait renouer son alliance avec les « populistes, » c’est-à-dire avec les élémens démocrates les plus avancés et qu’il ferait de la guerre aux trusts l’article capital de son programme.

Deux ans passèrent. Au mois de juin 1906, M. Bryan se trouvait à Berlin. Interrogé par un rédacteur du Lokal Anzeiger, il lui répondit : « Dans la prochaine campagne électorale, la grosse question sera celle des corporations et des trusts. Le peuple demande qu’on intervienne contre eux et que, par la voie légale, on mette un frein à leur puissance. Mes opinions, à cet égard, sont connues. Je suis avec l’opinion publique. Le bimétallisme ne jouera aucun rôle dans la prochaine élection présidentielle. Bien que ma conviction n’ait pas varié, la situation monétaire du monde a changé depuis 1896. Déjà, aux élections de 1900, la question de l’argent était secondaire. Elle le fut plus encore en 1904, bien qu’à ce moment M. Parker n’ait pas eu à se féliciter d’avoir si énergiquement défendu l’étalon d’or. »