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même sillon : belle carrière provinciale de juriste et de magistrat, menée sans heurts et, semble-t-il, sans ambitions. En 1900, M. Taft, sûr d’entrer un jour à la Cour suprême, pouvait dire : Hoc erat in votis. Mais cet homme de quarante-deux ans, en pleine maturité physique et intellectuelle, était appelé à d’autres destins. Les Américains, à qui on a reproché souvent le médiocre recrutement de leur personnel politique, se sont piqués au jeu. Depuis quelques années, ils s’attachent à pourvoir les fonctions au mieux de l’intérêt public, avec un clairvoyant souci des qualités d’esprit et de caractère. Je pourrais multiplier les exemples : j’en citerai deux seulement, Elihu Root et William Taft.

Le 1er mai 1898, l’escadre de l’amiral Dewey anéantit, dans la baie de Manille, la flotte espagnole. La promptitude de ce succès désempara le cabinet de Washington. Il se trouvait avec une conquête sur les bras : qu’en faire ? On avait commencé par rappeler de Hong-Kong Aguinaldo, le chef de l’insurrection (mai 1898). Mais, quelques mois plus tard, tout était rompu et les Américains prenaient à leur charge la succession des Espagnols, y compris l’insurrection à réduire. Le premier besoin pour les nouveaux venus était de se renseigner. Le 20 janvier 1899, le président Mac Kinley nomma une commission d’enquête que présidait M. Schurman. La commission enquêta avec conscience et succès. Enquêter pourtant ne suffisait pas. Il fallait organiser et, après avoir taillé, recoudre. Au début de 1900, une seconde commission fut constituée à cette fin. M. Taft en était président. Après vingt ans passés àCincinnati, après vingt ans de travaux juridiques et d’activité scientifique, le magistrat était jeté en pleine lutte, lutte militaire, lutte politique, lutte religieuse, sur un terrain aussi neuf pour lui que pour tous ses compatriotes.

Il faut lire les huit volumes de rapports, qui sont l’œuvre de ce débutant, pour mesurer sa finesse, son bon sens, son énergie. Comme directions générales, M. Taft n’avait rien ou peu de chose, — la proclamation de la commission Schurman de 1899, qui disait : « La suprématie des États-Unis doit être et sera renforcée de tous côtés dans l’archipel... La plus ample liberté de self government sera accordée aux Philippins, du moins toute la liberté conciliable avec le maintien d’une administration sage, juste, stable, effective et économique... Les droits civils des Philippins seront garantis et protégés ; la liberté religieuse sera