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donné le motif : c’est que l’État administrerait incontestablement mieux qu’une compagnie, qu’elle fût concessionnaire ou fermière. L’assertion a paru hardie : elle heurte si fortement le sentiment public qu’une protestation, accompagnée de rires, s’est élevée sur presque tous les bancs du Sénat. On ne croit pas à la bonne administration de l’État. On n’y croit pas pour quelques-unes des raisons que nous avons indiquées plus haut, et aussi parce que l’expérience qui en a été faite dans des ordres de faits très divers a montré que cette administration était pitoyable. On sait ce que valent les allumettes de l’État ; on sait comment fonctionnent ses téléphones ; les arsenaux de la marine, où se révèlent toutes les beautés de l’administration directe, sont le scandale des temps actuels. Pourquoi en serait-il autrement dans les chemins de fer ? C’est, a dit M. Barthou, parce que l’épreuve en a été faite ; il y a une compagnie des chemins de fer de l’État, et elle marche fort bien ; qui oserait contester la compétence, le zèle, le dévouement, le désintéressement des ingénieurs qui la dirigent ? M. Barthou s’est ému de tendresse en parlant de ces ingénieurs. Nous ne méconnaissons pas leur mérite ; ils sont à coup sûr de très braves gens qui font de leur mieux ; mais ils ne sont pas supérieurs aux ingénieurs des compagnies, et pourquoi le sei aient-Ils, puisqu’ils ont une même origine ? C’est, au surplus, ce que M. Barthou a rappelé. Qu’il y ait donc égalité à ce point de vue spécial et restreint, nous le voulons bien ; mais il est impossible d’accorder davantage, et, ici encore, ce que propose M. Barthou est une « opération blanche. » Elle le serait du moins pendant quelque temps, à supposer quon en essayât : bientôt les ingénieurs de l’État, chargés des services de tous les réseaux de France, participeraient à toutes les faiblesses de l’État lui-même. Quels que fussent leur bonne volonté et leur courage, leurs forces fléchiraient sous des assauts répétés ; s’ils résistaient avec trop d’héroïsme, le gouvernement capitulerait pour eux.

C’est seulement dans la dernière partie de son discours qu’on a pu apercevoir le but réel que poursuit M. le ministre des Travaux publics. Il ne veut pas, au moins pour aujourd’hui, racheter toutes les lignes de chemins de fer ; il sait bien que la Chambre des députés elle-même et à plus forte raison le Sénat ne le suivraient pas dans cette voie ; mais il y a un chemin de fer de l’État, et il veut en étendre le domaine aussi largement que possible. Ce réseau est d’ailleurs mal composé : il a besoin d’être rectifié et complété. Que faut-il pour cela ? Racheter l’Ouest et forcer l’Orléans à céder quelques-unes de