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quelque enveloppée que soit la pensée des rédacteurs sous des formes diplomatiques, et bien que les éloges y alternent habilement avec les critiques, ce fameux rapport n’en apparut pas moins comme le plus terrible réquisitoire qu’on pût lancer contre l’administration congolaise. Encore faut-il remarquer que les procès-verbaux de l’enquête n’ont pas été publiés, sous prétexte du « développement considérable qu’aurait pris ce travail, et de la difficulté qu’il y aurait eu à faire la lumière sur certains faits déjà anciens, et pour lesquels tout contrôle était impossible. De plus, les plaignans avaient souvent mis en cause des personnes décédées ou rentrées en Europe. » Parmi celles-ci figuraient, en effet, le directeur de l’Abir, — qui, après avoir été interrogé trois fois par la Commission, disparut à la quatrième audience, et partit subitement pour l’Europe, — et aussi le commissaire général Costermans, qui s’était suicidé au moment de l’arrivée des enquêteurs à Boma.

Cependant les défenseurs de Boula-Matari[1] essayèrent de faire bonne contenance : ne voulant retenir de ce document que les lignes où est signalée la part incontestable du bien (transformation du pays, suppression de la traite, interdiction de l’alcool) dans l’œuvre accomplie au Congo, ils prétendirent, contre l’évidence même, que la Commission avait tout loué, tout admiré au cours de son enquête ; les quelques abus signalés n’étaient que des cas isolés, et toujours le fait d’indigènes employés comme agens inférieurs… Mais comment l’opinion publique n’aurait-elle pas été frappée de voir d’éminens magistrats, désignés par le Souverain, dénoncer en toute franchise des faits tels que ceux-ci : l’interprétation rigoureuse des décrets sur le régime foncier « enserre l’activité des indigènes dans des espaces très restreints et immobilise leur état économique (p. 152) ? Les noirs sont, pour ainsi dire, à la merci des autorités locales ou des sociétés concessionnaires qui peuvent, quand elles le veulent, arriver à de crians abus (p. 153). L’impôt des quarante heures se transforme, pour beaucoup d’indigènes, en une incessante corvée (p. 176). Le portage épuise les malheureuses populations qui y sont assujetties et les menace d’une destruction partielle (p. 188). Des actes de violence graves ont été commis dans plusieurs districts et, en particulier, dans les régions exploitées par

  1. Ce sobriquet, qui signifie briseur de rochers, fut donné jadis par les indigènes à Stanley ; il est appliqué maintenant par eux à l’État indépendant lui-même.