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Faut-il répéter une fois de plus que le Maroc n’est pas un pays centralisé, ni même un tant soit peu organisé, et qu’il ne suit nullement le mot d’ordre venu de la capitale ? Le Sultan, autrefois, lorsqu’il était à son maximum de force, — et nous ne parlons pas du faible Abd-el-Aziz, mais de ses prédécesseurs et par exemple de son père qui était un tout autre homme que lui, — le Sultan n’a quelque peu gouverné le Maroc, et même n’y a perçu l’impôt, qu’en se déplaçant sans cesse à la tête d’une mehalla imposante. Abd-el-Aziz est-il à même de suivre leur exemple ? Nous en doutons, et d’ailleurs nous ne lui donnerions pas le conseil de sortir de Fez une seconde fois. L’épreuve qu’il vient de faire l’en détournera sans doute pour assez longtemps : il n’oubliera pas de sitôt son voyage à Rabat. S’il est vrai que les voyages forment la jeunesse, il tirera quelque instruction de celui-là.

Mais nous avons, nous aussi, quelque chose à en apprendre, à savoir qu’il est très périlleux pour nous de nous mêler des affaires intérieures du Maroc. Nous ne pouvons pas le faire, même indirectement, même de loin, sans contracter des obligations matérielles ou morales qui ne laissent pas ensuite d’être lourdes. Nous en avons déjà assumé quelques-unes, et nous ne demandons pas qu’on y manque ; nous demandons seulement qu’on n’en assume pas de nouvelles. A cet égard, le gouvernement a toujours donné, à la tribune, les assurances les plus formelles ; il a dit aussi énergiquement qu’on le lui a demandé que jamais, pour rien au monde, il ne se mêlerait des affaires intérieures du Maroc ; mais il a très médiocrement tenu cette promesse, et il serait facile de le prouver si nous voulions récriminer sur le passé. Mieux vaut se tourner du côté de l’avenir. Que compte faire le gouvernement ? Jusqu’ici, il n’a eu aucun plan déterminé ; il a hésité, tâtonné entre plusieurs sans se fixer à aucun ; il a eu des velléités en sens divers sans en poursuivre résolument aucune. Le moment est venu pour lui de choisir, à Casablanca, et dans la Chaouia, entre une politique d’action aventureuse ou une politique de lente et de prudente liquidation. S’il choisit la première, les 12 ou 13 000 hommes dont il dispose sont insuffisans. S’il choisit la seconde, il en a au contraire, les moyens d’exécution ; mais ces moyens ne sont pas moins de l’ordre politique que de l’ordre militaire. Avant tout, il faut se demander pourquoi nous sommes à Casablanca, et qu’est-ce que nous sommes allés y faire. Il régnera cet égard, beaucoup de confusion dans les esprits. On répète souvent que nous y sommes allés en vertu d’un mandat européen, et que nous continuons d’y être les mandataires des puissances. Rien n’est plus inexact.