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la déchéance de la puissance paternelle soit obligatoire ou facultative, il s’écoule en général un temps assez long entre la poursuite et le jugement[1] : en effet, l’abandon moral et les sévices sont plus difficiles à constater que l’abandon physique. Or, tant que l’enfant est auprès de parens dénaturés ou dans un milieu corrompu, il reste en souffrance et continue l’apprentissage du vice. En outre on se heurte, dans l’application, à de graves obstacles. Autrefois, en cas d’indiscipline, on envoyait l’enfant à l’école correctionnelle ou à la colonie pénitentiaire. Aujourd’hui, l’Assistance publique, n’ayant encore qu’une maison spéciale pour ces pupilles réfractaires, est réduite à les placer, comme les non-vicieux, chez des paysans. Or, qui ne voit qu’un tel placement est inefficace pour le pupille et périlleux pour les enfans du père nourricier ? Aussi ces enfans d’une catégorie spéciale et qui deviennent de plus en plus nombreux, discréditent-ils, par leur mauvaise conduite et la fréquence de leurs délits, le placement familial à la campagne. Il arrive qu’un, deux ou plusieurs villages, parfois même une région tout entière se refusent à accueillir ces enfans terribles !

Le Parlement français a mis le couronnement à son œuvre de la législation de l’enfance, en votant la loi du 27 juin 1904 sur le Service des enfans assistés et celle du 28 juin de la même année sur l’Éducation des pupilles vicieux ou difficiles de l’Assistance publique. Le sort de ces êtres déshérités n’avait pas échappé au coup d’œil pénétrant de Napoléon, et il avait pourvu à leur secours par la loi du 15 pluviôse an XIII et le décret-loi du 19 janvier 1811. Depuis, il y avait à l’Assistance publique de Paris une section des enfans moralement abandonnés, section qui, sous l’intelligente et zélée direction de M. Loys Brueyre, a rendu de si grands services et a pourvu à l’application de la loi île 1889. La loi de 1904, dont les rapporteurs au Sénat ont été Théophile Roussel et après sa mort le Dr P. Strauss, fut préparée par de mûres délibérations au Conseil supérieur de l’Assistance publique (1890-91)[2]. Le législateur a élevé de seize à vingt et un ans la limite d’âge à laquelle des enfans peuvent

  1. Voyez pourtant l’article 5 de la loi du 24 juillet 1889, qui permet à la Chambre du Conseil d’ordonner des mesures provisoires pour la garde et l’éducation de l’enfant.
  2. Voyez le lumineux rapport de M. L. Brueyre dans les fascicules 27 et 31 des Procès-verbaux dudit Conseil.