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été longtemps tenue en sujétion et qui était hier encore vouée aux ironies combinées des intellectuels et des aristocrates, monte au pouvoir avec M. Asquith.

Une solennelle expérience va être tentée dans ce Parlement, composé d’une majorité non conformiste et né de la réaction puritaine, si justement signalée et si bien décrite par M. Jacques Bardoux dans ses beaux livres sur l’Angleterre contemporaine. La démocratie religieuse entre en scène. Pareille chance, qu’on y songe, ne s’était pas offerte aux puritains depuis le jour où les officiers de Cromwell mirent à la porte, sans cérémonie, le parlement Barebones. Les petits-fils des « Saints » vont, au début du XXe siècle, se mesurer avec la question sociale.

Au premier abord, j’en conviens, ils ne ressemblent guère à leurs ancêtres. Mais, après beaucoup de transformations et d’épreuves, certains caractères subsistent, — les uns sympathiques, les autres moins aimables, — auxquels il est impossible de ne pas reconnaître la race d’hommes d’où ils sont descendus ; enthousiasme religieux, génie des affaires, souci médiocre des jouissances de l’art et de tout ce qui n’est pas directement utile à l’existence en ce monde ou au salut dans l’autre et, par-dessus tout, cet individualisme égalitaire dont les allures déconcertent l’observateur étranger qui le voit, tour à tour prompt à l’action commune ou à la méditation concentrée. Longtemps persécutés, puis ignorés, puis tolérés, il n’y a pas un siècle qu’ils sont entrés dans le pays légal et leur influence a été lente à se faire sentir. Par justice autant que par politique, Gladstone les ménageait. Il leur avait donné des gages de sa bonne volonté, mais il était leur allié sans être leur homme. En ce moment, ils mènent et ils incarnent la démocratie, et les socialistes commettraient la plus grande des erreurs s’ils croyaient pouvoir se passer d’eux ou les intimider. Les non-conformistes sauront, je n’en doute pas, parler haut et ferme à ces protégés d’hier qui prétendent être les maîtres d’aujourd’hui. Mais il y a une autre Angleterre qui va se lever, qui se lève déjà. Non pas seulement l’Angleterre des privilégiés, mais aussi, avec elle, une Angleterre populaire qui tient à ses vieux us, à sa bière, à ses joyeux dimanches et qu’il n’est pas très difficile d’ameuter contre ceux que Paul-Louis eût appelés les empêcheurs de danser en rond. M. Asquith n’aura point cette lune de miel des nouveaux premiers ministres, ce répit qu’on leur accorde, d’ordinaire, pour s’installer à Downing