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Quelques mois plus tard, la fondation de la Liberal League donnait à ces idées un foyer, un centre de propagande. Lord Rosebery en accepta la présidence ; M. Asquith en fut le vice-président, avec sir Edward Grey et sir Henry Fowler, et M. Haldane, l’ancien et fidèle ami de M. Asquith, ne tarda pas à occuper un quatrième siège de vice-président. Je ne suis pas en mesure de dire qui eut une part prépondérante dans cette création qui ressuscita le parti libéral ; mais comment ne pas remarquer ici que la politique affirmée par la ligue était, précisément, celle que prêchait M. Asquilb depuis plusieurs années ?

Je puis écrire, je crois, sans paradoxe, que personne n’a fait plus, ni même autant que M. Chamberlain pour le succès de la Liberal League. C’est lui, en effet, qui a permis à lord Rosebery d’inscrire sur sa fameuse ardoise, au lieu du désastreux Home Rule, ce programme, infailliblement destiné à devenir populaire, la défense du libre-échange, de cette politique économique qui a valu à l’Angleterre un demi-siècle de prospérité sans exemple. « On ne conteste pas mes faits, disait M. Chamberlain, on se contente de chicaner mes chiffres. » Et M. Asquith de répondre, avec son impitoyable bon sens : « Comment les faits seraient-ils vrais si les chiffres sont faux ? » Rarement les chiffres, en effet, se sont montrés aussi éloquens que dans cette mémorable campagne où, dans l’automne de 1904, il suivit, pas à pas, M. Chamberlain, réfutant un à un tous ses argumens et détruisant, de ville en ville, l’effet de ses discours. Le grand orateur de Birmingham reconnaîtrait, j’en suis sûr, que, dans cette lutte homérique, il n’a pas eu de plus formidable adversaire que M. Asquith. La victoire, on se le rappelle, — car c’est l’histoire d’hier ! — fut complète, écrasante. Le programme de lord Rosebery et de la Liberal League triomphait sur toute la ligne. Le parti, si longtemps honni et impuissant, rentrait au pouvoir, ramenant avec lui une foule de nouveaux talens, qui avaient surgi depuis 1895 ou qui avaient déserté les rangs des tories. Le rêve de M. Asquith, qui semblait irréalisable en 1895, était réalisé en 1906 : les libéraux possédaient une majorité qui les rendait indépendans du parti ouvrier et des Irlandais. Par malheur, le chef des libéraux, le premier ministre de décembre 1905, ne représentait pas cette politique de la Clean Slate en faveur de laquelle le pays se prononçait si nettement dans les élections de janvier 1906. Il avait, à la veille de ces