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un succès d’arrière-garde. Tel fut, à peu près, le cas de M. Asquith dans cette retraite de 1895, qui ressemble un peu à une déroute. Le Home Rule avait été le Waterloo du parti libéral. Après une année absorbée par cette mesure déplorable, M. Gladstone avait transmis à lord Rosebery le commandement, plus nominal qu’effectif, d’un parti qui n’avait plus ni unité, ni confiance en lui-même et qui s’était laissé voler son programme par ses adversaires. Et, au milieu de cette débâcle, M. Asquith n’était même pas entamé ; il sortait, grandi, du Home Office où il s’était affirmé, à la fois, comme homme de gouvernement et comme réformateur social : res olim dissociabiles, deux attributs opposés qu’il continue à incarner en lui.


V

Les élections générales de 1895 remplacèrent la faible majorité dont les libéraux n’avaient pu se servir par une énorme majorité conservatrice. Le parti libéral allait errer dix ans dans le désert avant de pouvoir entrer dans la terre promise. En 1890, lorsque lord Rosebery abdiqua la leadership, il semblait, dans son discours d’adieu, désigner M. Asquith comme son successeur ; mais l’ex-ministre de l’Intérieur déclina toute candidature : « M. Asquith, observa le Times, considère que la poire est loin d’être mûre. » Le Times aurait pu dire qu’elle semblait pourrie avant d’être mûre ; en effet, le parti qu’il s’agissait de diriger était en pleine décomposition. Divisé intérieurement par de misérables rivalités personnelles encore plus que par les dissensions doctrinales et pauvre jusqu’à l’indigence en nouveaux talens, il ne paraissait plus avoir de prise ni sur la jeunesse, ni sur le peuple, ni sur aucun des élémens actifs de la vie nationale. Comment lui rendre l’unité et la popularité ? C’est à cela que s’appliqua M. Asquith. Et, d’abord, il fallait en finir avec cette pierre d’achoppement, avec ce poids mort qu’on traînait après soi, avec cette déplorable question du Home Rule qui avait déjà valu deux grandes défaites au parti libéral. Mais comment s’y prendre pour se délivrer honorablement des promesses faites et des engagemens pris ? Le parti Irlandais fournit lui-même l’occasion nécessaire en prenant l’initiative d’un abandon qui, de sa part, présentait tous les caractères d’une trahison. « Les Irlandais, dit alors M. Asquith, viennent de faire cadeau aux