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que notre génération u vu au Japon, en Chine, en Perse, oserait l’affirmer ?

C’est donc en Orient que les nations européennes ont, sinon peut-être leurs intérêts les plus importans, du moins ceux qui sont le plus exposés à des modifications dangereuses. Et c’est pourquoi c’est en fonction des affaires d’Orient que les hommes d’Etat disposent leur politique et combinent leurs alliances. L’Europe, encore aujourd’hui, vit dans le moule où l’a jetée, au Congrès de Berlin, le génie de Bismarck. Ce qui s’est fait en Orient ne sera modifié qu’à propos de l’Orient. C’est ce qui rend le jeu diplomatique si passionnant à suivre chaque fois qu’apparaissent des complications orientales. Pourquoi se produit-il actuellement une crise et comment chaque pays se prépare-t-il à s’y comporter : c’est la question sur laquelle nous avons essayé de jeter un peu de lumière. L’entreprise était malaisée parce qu’aucune volonté forte, aucune pensée ample et prévoyante ne conduit les affaires, et aussi, — il faut le dire pour le constater plutôt que pour le blâmer, — parce que chacun a peur, peur de la responsabilité, peur de l’action, peur du lendemain. Tel, qui se prépare, qui prend son élan, ne saute pas… Aussi convient-il de s’abstenir de conclure et de prédire.

L’élément nouveau, dans la question d’Orient, c’est le changement de la politique anglaise. Nous avons montré[1] comment la Grande-Bretagne, qui s’était constituée, en face de la Russie, la gardienne de l’intégrité de l’Empire ottoman, avait, depuis le Congrès de Berlin et surtout depuis qu’elle est maîtresse en Égypte, adopté une autre tactique dirigée contre l’Allemagne. Cette évolution s’achève sous nos yeux : l’Angleterre a cessé de redouter le péril moscovite, dont le fantôme a si longtemps pesé sur sa politique ; elle a conclu avec sa rivale d’autrefois un accord général qui règle tous les anciens litiges et partage les différends, et elle cherche maintenant à diriger les affaires de l’Orient ottoman de concert avec elle. Depuis 1885, sa politique tend à la dislocation de l’Empire ottoman : soyez forts, dit-elle aux Turcs, formez un obstacle au Drang allemand, au lieu de vous laisser absorber par lui, ou résignez-vous à quitter l’Europe, à disparaître. En 1895-1897, au moment des affaires arméniennes, c’est l’alliance de la France et de la Russie qui a prévenu la

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1906.