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davantage. Ces chiffres sont excessifs ; on n’a pas tardé à les ramener à des proportions beaucoup plus modestes. Le lock-out n’a privé jusqu’ici de travail que 20 à 25 000 ouvriers ; mais s’il se prolongeait longtemps, leur nombre grossirait vite, parce que toutes les industries qui se rattachent au bâtiment, et qui sont naturellement solidaires les unes des autres, finiraient par être atteintes. Comment échapper à ce danger ? M. Villemin, président de la Chambre syndicale des entrepreneurs, a conféré avec M. le président du Conseil et M. le ministre du Travail, et leur a annoncé que, d’ici à peu de jours, il présenterait aux ouvriers des propositions nouvelles. Si ces propositions sont acceptées, le lock-out prendra fin ; mais pour qu’il ne recommence pas bientôt, il importe qu’elles le soient sincèrement et loyalement. Après la dernière grève, les ouvriers avaient paru déjà s’incliner devant les propositions patronales. On n’a pas tardé à s’apercevoir que leur geste n’avait été qu’une démonstration vaine et trompeuse : aussi les patrons exigeront-ils vraisemblablement pour l’avenir des garanties plus sûres. Les ouvriers, en effet, ne demandent qu’à reprendre le travail : mais s’ils le reprennent dans les mêmes conditions qu’hier, c’est-à-dire avec le correctif du sabotage, la question n’aura pas fait un pas. Dans leurs affiches, — car ils en ont fait eux aussi, — ils se donnent comme des victimes de la barbarie patronale : on les a disent-ils, brutalement privés de leur pain quotidien et de celui de leur famille. Ils sont prêts à se remettre à la tâche après le lock-out comme avant : c’est aux patrons à reconnaître qu’ils ont fait une fausse manœuvre et se sont trompés. On voit que l’entente est facile, si on s’en tient à la forme, mais difficile si on va au fond des choses, et les patrons voudront certainement, cette fois, faire une œuvre sérieuse.

Nous ne sommes qu’au début d’une expérience nouvelle. On avait déjà parlé de lock-out ; on en avait même esquissé l’application, mais on s’était arrêté dès le premier pas ; aujourd’hui seulement on s’y est engagé avec une résolution qui paraît ferme, et qui l’est sans doute. Il est fâcheux, — mais ce n’est pas la faute des patrons, — que le fait se soit produit à la veille du 1er mai et des élections municipales. Si le lock-out n’est pas terminé le 1er mai, cette journée sera peut-être un peu plus mouvementée que les années précédentes. Les élections municipales du 3 pourront s’en ressentir à Paris. On a jugé à propos de créer un ministère du Travail : ce serait pour son titulaire une bonne occasion de montrer qu’il sert à autre chose qu’à éteindre les lumières d’en haut. S’il a acquis quelque influence sur