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diplomatiques qui auraient eu pour but d’ouvrir, en quelque sorte de force, nos marchés aux fonds allemands, tout cet ensemble de circonstances, dans une atmosphère déjà chargée de courans orageux venus d’outre-Atlantique, détermina, durant quelques semaines, nous pourrions dire quelques mois, des jugemens erronés dans la presse et dans l’opinion françaises.

La crise de 1907 s’est développée aux États-Unis avec une violence extraordinaire, parce qu’à côté des facteurs pour ainsi dire naturels et réguliers de toute crise, des élémens imprévus, la politique du président Roosevelt d’une part, la malhonnêteté de certains créateurs d’affaires de l’autre, y ont amené des troubles exceptionnels. En Allemagne, au*contraire, elle a suivi un cours normal : elle n’a été que l’aboutissement d’une période prospère. En réalité, on pourrait presque dire qu’il n’y a pas eu, qu’il n’y a pas de crise allemande, en ce sens que la vitalité d’aucune des grandes entreprises de banque, de commerce, d’industrie n’est atteinte, et que l’activité générale, ralentie dans beaucoup de cas, n’est arrêtée sur aucun point : nous assistons simplement à l’évolution inévitable des sociétés humaines, qui passent par des époques de production et de consommation intenses suivies de périodes de calme et de contraction.

Pour bien comprendre la situation actuelle, il est nécessaire de remonter un peu en arrière, et de rappeler les étapes du développement rapide de l’Empire allemand, le dernier venu, mais non le moindre des grands États européens, né de nos fautes, de nos revers, et de la persévérance d’un Guillaume 1er , aidé par le génie d’un Bismarck. La Confédération germanique, que remplaça, en 1867, la Fédération de l’Allemagne du Nord, appuyée sur une Union douanière, ne comptait guère comme facteur économique. La Prusse, le principal de ses élémens, celui autour duquel tous les autres devaient s’agglomérer, était, vers le milieu du XIXe siècle, un État agricole plutôt qu’industriel. Mais, au lendemain de la guerre de 1870, la scène changea brusquement. Des industries puissantes s’organisèrent : les deux centres principaux en furent : la Silésie, à l’Est ; la Westphalie, le pays rhénan et le bassin de la Sarre, à l’Ouest. Les entreprises houillères et métallurgiques qui existaient se développèrent avec fougue ; de nouvelles créations surgirent de toutes parts. Les financiers allemands, enivrés eux aussi par les victoires militaires, éblouis par la pluie d’or des cinq milliards, se