Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/859

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’allégresse de l’activité complète et de l’œuvre aussi personnellement accomplie que possible.

Car il importe bien moins d’instruire l’esprit que de construire l’âme, de la construire saine, résistante, capable d’effort et d’attention, joyeuse de son énergie, de lui apprendre l’obéissance, la fierté, la tenue, de l’adapter entièrement, pour une certaine fonction, à la société où elle a sa place et qu’elle doit servir, de la dresser suivant les lignes et les axes qui feront son style, — bref de produire des créatures humaines de valeur, — c’est-à-dire belles, vigoureuses, efficaces, valeur de même ordre que celle du cheval que l’on a ménagé dans sa jeunesse, que l’on a longtemps laissé libre dans la prairie, et qui, soigneusement tenu, lavé, étrillé, brillant de santé, a bien appris à trotter juste et généreusement tirer.

Un individu sans valeur, ou plutôt de valeur négative, élément amorphe non d’un peuple, mais d’une populace, c’est par exemple le flâneur à face pâle, à l’attitude veule, l’homme de paresse et de vagues besognes que l’on rencontre, adossé aux vitres des gin houses, dans les bas quartiers des grandes villes anglaises. Qu’il écoute, comme il arrive, les conseils du sergent recruteur, qu’il endosse l’habit du roi, et comme nous l’a montré Kipling, par l’effet de la nourriture meilleure, de l’eau froide, des consignes autoritaires et précises, de jour en jour il se régénère et se forme. Il apprend l’obéissance en même temps que le respect de soi-même et le bel orgueil de son métier. Sa poitrine qui se bombe en avant, sa démarche énergique, son geste prompt et net, son regard clair et droit, disent cette fierté de la force disciplinée. A présent tonifié, rythmé, orienté dans un sens utile, fixé à des devoirs, encadré dans une hiérarchie certaine, appuyé au groupe de ses pareils, maintenu dans son type par les suggestions muettes qu’ils exercent sur lui, tout son être a pris du style et de la valeur. Il est une créature belle et vaillante parce qu’il est dressé. Ce n’est qu’un soldat, mais Ruskin l’appelle bien élevé : well bred. Mêmes contrastes chez les riches, entre un homme de plaisir, de caprice et d’ennui qui ne se connaît point de tâches, qui n’est plus capable d’une tâche, et le véritable et rare gentleman, préparé de bonne heure à ses responsabilités et ses devoirs, qui, d’un effort réglé,