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architectures anonymes, pour les ferventes peintures primitives où se traduit l’essence d’un siècle et d’un peuple, — celles qui ne proclament pas la science, le talent, ni surtout l’originalité voulue d’un artiste, mais, en des types et des attitudes traditionnels, le Christ universel ou bien les saints patrons de la paroisse ou de la commune. Quelles images il s’est faites de ce monde chrétien du moyen âge, les teintant des couleurs d’une imagination nourrie dès l’enfance d’un double rêve puritain et romantique, de Bible, d’Evangile, de Walter Scott et de l’Italie du poète Rogers ! C’est là, dans les communes du XIIIe siècle, dans celles d’Italie surtout, une Pise, une Florence, une Venise primitive, qu’il trouve et montre à l’homme et à la société d’aujourd’hui les modèles de l’homme et de la société.

Des cités point trop grandes, pénétrées des influences de leur mer ou de leurs collines et de leurs oliviers, où l’homme, tout enveloppé par la nature, tenu et soutenu par les plus fortes idées collectives, animé d’une foi religieuse et d’une foi civique, cultivé, affiné par des disciplines anciennes, est capable de l’art profond, essentiel, qui puise à la nature, pour en styliser, ordonner à sa fantaisie les images, en couvrir les monumens que l’effort et la volonté de tous élèvent à la gloire de la religion et de la patrie. En de telles cités, les âmes comme les corps atteignent des formes parfaites, aussi stables que nettes et vigoureuses, — perfections attestées par l’histoire de ces communautés-là, par la constance, l’énergie et l’originalité de leur rêve national, par la grandeur, la fervente et spirituelle beauté de leurs œuvres, — plus directement encore, par tant de peintures et statues religieuses, tant de dalles mortuaires où les figures que modelèrent les hautes et rigoureuses disciplines de ces époques, s’éternisent en simples, sérieuses et sereines effigies. Les voici, les figures favorites de Ruskin, celles qu’il invite les modernes à étudier et scruter aux tombeaux des doges et des capitaines de Venise, aux fresques de Giotto et de Simone Memmi, s’ils veulent connaître les types du vouloir intense, de la conscience stricte, du christianisme vivant, de la souveraine beauté ; figures de citoyens, de chevaliers, de moines, de princes et chefs véritables, figures d’un Dandolo, d’un Dante, d’un François d’Assise, d’un saint Louis[1], — celle-ci mince et claire comme une

  1. Par Giotto, à Santa Croce de Florence.