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M. de Chateaubriand fut acquitté, par respect pour son nom, à la suite d’un discours habile, digne et modéré de sa part, et d’une plaidoirie fort ampoulée de M. Berryer, où l’avocat se remarquait bien plus que l’homme d’État.

Mais ce triomphe fut cruellement empoisonné, car, ce jour-là même, le Moniteur contenait la déclaration faite par Mme la duchesse de Berry d’un mariage secret. Personne n’en fut dupe et le parti s’en trouva atterré.

Je me souviens d’avoir assisté la veille à un grand dîner chez le baron de Werther, ministre de Prusse. Nous étions une quarantaine de personnes, la plupart assez bien informées pour savoir la nouvelle reçue par le gouvernement à la fin de la matinée, mais aucune ne se souciait d’en parler la première.

Je ne pense pas qu’il y eut dix paroles échangées avant de se mettre à table. Il régnait dans ce salon une sorte de honte générale, mêlée à la tristesse.

Pendant le dîner, chacun chuchota avec son voisin, et, en sortant de table, on s’abordait en se demandant, sans autre commentaire, « si cela serait en effet dans le Moniteur du lendemain. »

La pudeur publique y répugnait, car tout le monde lisait le mot de grossesse à la place de celui de mariage. Mais Mme la duchesse de Berry avait exigé la publicité de sa déclaration.

Quoique réelle, notre consternation n’approchait pas de celle de la Reine. Je la vis le matin et la trouvai désolée. Affligée comme parente, elle se sentait encore atteinte et comme reine, et comme princesse, et comme dame, et comme femme. Elle joignait les mains et pliait la tête.

Pour elle la surprise était jointe au chagrin. Les ministres, ni le Roi, n’avaient jamais osé lui parler des soupçons qu’on avait conçus. Accoutumée aux infâmes propos des journaux, elle n’y avait aucune attention sérieuse. Et même, M. le duc d’Orléans ayant, quelques jours avant, hasardé une allusion à ce sujet, sa mère, si douce pour lui habituellement, l’avait traité avec une très grande sévérité. Le coup qui la frappait lui était imprévu.

J’osai m’étonner et regretter que Mme la duchesse de Berry n’eût pas eu recours à elle dans son malheur.

— Ah ! ma chère, que ne l’a-t-elle fait !… Ils auraient dit ce qu’ils auraient voulu ; mais rien ne m’aurait empêchée d’aller