Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’était point là le langage d’un pur « littérateur ; » c’était déjà celui d’un homme. d’action, d’un homme que les questions littéraires ou historiques pourront bien « divertir » un temps, mais qui n’y trouvera pas toujours, — si tant est qu’il l’y ait jamais trouvé, — « l’apaisement de son inquiétude. »

« Il n’y aura jamais, — écrivait-il huit ans plus tard, en 1890, — il n’y aura jamais dans la langue française de plus éloquente invective que les Provinciales ; de plus beau livre que les fragmens mutilés des Pensées ; et de plus grand écrivain, que l’on doive plus assidûment relire, plus passionnément aimer, et plus profondément respecter que Pascal. » À cette école, et à celle aussi de Bossuet, qu’il étudiait beaucoup vers le même temps, il apprenait, — ou réapprenait, — diverses choses qu’il définissait plus tard[1] en ces termes : l’horreur du dilettantisme ; l’art d’aller au point vif des questions ; et la distinction des différens ordres de vérités. Ce n’était point d’ailleurs qu’il fût disposé à accepter leurs conclusions à tous deux. Il le laissait clairement entendre dans un article, également daté de 1890, et l’un des plus suggestifs à tous égards qu’il ait écrits, sur Vinet :


Est-il bien nécessaire d’être « chrétien « pour penser comme lui ? Ses préoccupations, qui sont pour lui la conséquence de son christianisme, ne pourraient-elles pas s’en détacher peut-être ? Et indépendamment de toute idée religieuse, ne peut-on pas croire que, de tous les problèmes, le plus important et le plus tragique pour nous, c’est encore celui de notre destinée ? Je le crois, pour ma part ; et qu’il l’est d’autant plus que nous sommes plus libres et plus dégagés de toute espèce de confession… Moins nous sommes « chrétiens, » plus ces questions ont donc d’intérêt et d’importance pour nous. Bien loin d’en diminuer la grandeur, on l’augmenterait plutôt en les laïcisant


Et quelques mois après, dans un article capital sur la Philosophie de Schopenhauer et les conséquences du pessimisme, il précisait, il livrait toute sa pensée d’alors. Il y défendait éloquemment la doctrine contre les objections qu’on lui avait adressées ; il montrait que, bien loin d’entraîner les conséquences décourageantes et immorales que l’on prétendait parfois, elle était au contraire génératrice d’énergie et de charité. Ses conclusions étaient significatives : « Ce qu’il y avait de plus élevé, disait-il, mais surtout de plus difficile à faire admettre aux hommes dans

  1. Ce que l’on apprend à l’école de Bossuet, conférence faite en 1900 à Besançon dans la brochure citée plus haut, Bossuet et Brunetière.