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encore appliqué la méthode évolutionniste, et il faudra bien que l’esthétique se renouvelle à son tour en cherchant à la même source l’explication des questions sur lesquelles elle s’acharne depuis si longtemps avec de si minces résultats. » Je ne sais si Brunetière a longuement médité ces lignes : on ne saurait, en tout cas, mieux définir l’œuvre critique à laquelle, de 1889 à 1895, et, même, jusqu’à la fin de sa vie, il allait délibérément se consacrer.

A dire vrai, cette idée d’appliquer à la critique et à l’histoire littéraire la méthode évolutive n’était pas nouvelle chez lui ; et il serait facile de montrer qu’en fait, il s’y était toujours secrètement conformé, et même que, dès ses premiers articles, l’expression théorique en venait assez souvent sous sa plume.


Les genres littéraires, — écrivait-il ici même, en 1879, dans un article non recueilli sur Vacquerie, — les genres littéraires ont leur-fortune, et cette fortune est changeante. Comme toutes choses de ce monde, ils ne naissent que pour mourir. Ils s’usent à mesure qu’ils enfantent leurs chefs-d’œuvre. Comme des originaux dont on tirerait des copies, et de ces copies à leur tour des copies de copies, les épreuves successives iraient s’affaiblissant, perdant et gâtant chacune quelque trait du modèle, jusqu’à ce qu’enfin la dernière fût précisément ce que l’imitation plate et servile d’un écolier peut être à l’œuvre inspirée d’un maître : ainsi les genres littéraires périssent, et quelque effort que l’on fasse, dès qu’ils ont atteint un certain degré de perfection, ne peuvent plus que déchoir, languir et disparaître.


La doctrine de l’évolution des genres est là en germe, et même déjà plus qu’en germe.

On sait qu’elle consiste essentiellement à assimiler les genres littéraires à de véritables espèces vivantes : comme les espèces de l’histoire naturelle, ils vivent, c’est-à-dire naissent, se développent et meurent ; et il s’agit de savoir suivant quelles lois. Naître et mourir sont d’ailleurs des expressions impropres : rien ne naît, et rien ne meurt, mais tout évolue ; la question à se poser à propos des genres est de rechercher de quoi ils se forment, et en quoi ils se transforment, et comme ils ne sont pas isolés dans l’histoire, qu’ils vivent, ainsi que les espèces, d’une vie non pas seulement individuelle, mais collective, il y a lieu enfin d’étudier les rapports qu’ils entretiennent entre eux, et les lois de la « concurrence vitale » qui régit leur développement respectif.

Telle est, réduite à ses termes les plus généraux, la théorie