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celle de Jésus, il avait déjà le pressentiment très net de l’originalité réelle, et on serait tenté de dire de l’unicité du christianisme. « S’il y a — écrira-t-il par exemple, — s’il y a dans toute religion d’amour un principe d’erreur et de corruption prochaine, l’esprit du christianisme n’a rien négligé de ce qui pouvait en contrarier, en gêner, en étouffer enfin le développement, tandis que, dans l’Inde au contraire, le tempérament d’une race également superstitieuse et sensuelle, ayant suivi sa pente, n’a recueilli du krichnaïsme que ce qu’il avait de plus dangereux. » — Il est toujours facile, je le sais, de prédire après coup : il semble pourtant que, dès cette époque, un observateur attentif de sa pensée aurait pu saisir, dans les écrits de Ferdinand Brunetière, les traces visibles d’une certaine inquiétude religieuse, et prévoir que, sur ces questions, il n’avait pas dit encore son dernier mot.

Il est toutefois indéniable que, dans cette période de sa vie, le problème religieux est fort loin d’être sa préoccupation dominante : il s’y intéresse surtout, ou du moins il ne l’aborde publiquement que sous sa forme historique. Une autre question essentielle, et qu’il voulait délibérément ne compliquer d’aucune autre, — « je ne veux pas, dira-t-il quelque part, mêler la question religieuse à la question morale, » — l’attire, le retient, l’obsède au milieu de son œuvre de critique et d’histoire littéraire. On peut même dire que la façon dont il concevait sa tâche de critique et d’historien littéraire l’amenait presque nécessairement à l’étude et l’entretenait dans la méditation constante de ce problème, qui est le problème moral, tel qu’il se pose de notre temps. Qu’on se souvienne en quels termes, d’un accent si personnel, et presque confidentiel, Ferdinand Brunetière, ici même, louait Caro et Emile Montégut. « Ce qui ajoutait, — disait-il de ce dernier, — à l’intérêt de sa conversation, c’est qu’elle aboutissait toujours à la morale ; et en effet, dès qu’on les prend d’un peu haut, ce ne sont pas seulement les questions politiques, les questions historiques, les questions sociales qui se changent eu questions morales : ce sont aussi les questions esthétiques. » Si l’on rapproche de ce mot son article sur George Eliot, — l’un des écrivains auxquels il avouait devoir le plus, — ses deux articles sur le Disciple de M. Bourget, et tant d’autres déclarations éparses rift peu partout dans son œuvre, on se rendra compte que personne, de nos jours, n’a observé, n’a épié,