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Sainte-Beuve, tout au moins de Vinet et de Nisard. A tous ces maîtres d’ailleurs, Brunetière devait quelque chose, et il n’est que juste de leur faire leur part dans la formation de son esprit : Sainte-Beuve lui avait donné le sens de l’histoire, le goût de l’érudition précise et minutieuse ; Taine, celui des idées philosophiques et des recherches scientifiques ; Nisard lui avait enseigné le culte de la perfection classique, et Vinet le prix de la vie intérieure et de la pénétration morale. A Eugène Fromentin, à Emile Montégut, il emprunta aussi plus d’une observation de détail, plus d’une vue féconde sur la « technique » de l’art littéraire, sur la succession des écoles et des œuvres d’art, sur les littératures étrangères enfin. Mais tous ces enseignemens et toutes ces influences, il les avait fondus dans l’unité d’une personnalité à la fois très réceptive et très forte ; et il y a trop ajouté de son propre fond, pour qu’on soit en droit de nier sa robuste originalité.

Dans la Préface, — supprimée depuis, — de la première édition de ce recueil d’Études critiques, où il a successivement rassemblé ses principaux travaux d’histoire littéraire, Ferdinand Brunetière indiquait brièvement les remaniemens et les corrections qu’il avait fait subir à ses articles en les réimprimant ; et il ajoutait : « J’ai surtout essayé, dans ce travail de révision, de lier entre eux ces morceaux et de les ramener tous, comme j’espère qu’on pourra le voir, à n’être que l’expression, diverse selon les sujets et les hommes, de quelques idées fondamentales, toujours les mêmes. » Quelles étaient ces « idées fondamentales ? » Il est facile de les démêler. La première est qu’il y a une « tradition : » nous pouvons la méconnaître, nous pouvons même la nier et nous efforcer de la détruire, en quoi d’ailleurs nous avons tort et faisons œuvre de barbares ; mais, en attendant, quoi que nous fassions, elle s’impose à nous : « les qualités dont nous sommes le plus fiers, et les défauts dont nous nous montrons le plus orgueilleux, c’est d’héritage que nous les tenons. » Cette tradition, qui n’est point tout le passé, mais simplement ce qui surnage et survit du passé, elle nous vient, à nous autres, Français, des Grecs et des Latins. Mal connue, obscurcie, dénaturée pendant tout le moyen âge, elle nous est revenue à l’époque de la Renaissance ; elle s’est épanouie avec une incomparable splendeur pendant tout le XVIIe siècle ; elle, a suffi alors à quelques-uns des plus