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contemporaine et les causes de son affaiblissement, Caro le déplorait encore. L’article se trompait un peu de date : car, à cette époque, avec Brunetière, la critique était en train de se relever.


II

Au moment où le jeune écrivain entrait en scène, la tradition nationale, dont il se déclarait le belliqueux champion, était menacée par trois sortes d’adversaires : les naturalistes, les derniers romantiques et les érudits. Les uns, les érudits, en vantant par-dessus les nues la littérature française du moyen âge aux dépens de la littérature classique, « mettaient en péril les plus rares qualités de l’esprit français : » ils tentaient à la lettre de « brouiller l’histoire, et de déplacer par un coup de force le centre d’une grande littérature. » Les autres, les derniers romantiques, dramaturges sans talent comme Vacquerie, poètes malsains imitateurs de Baudelaire, critiques « impressionnistes, » théoriciens de l’art pour l’art, ou producteurs intarissables de « littérature personnelle, » tous, dans leur fureur d’égotisme, se faisant le centre du monde, négligeaient d’étudier la nature et l’homme, et, entre leurs mains, la littérature, au lieu d’être, comme au XVIIe siècle, « un ornement de la vie commune » et un moyen d’action sociale, devenait un divertissement puéril, ou un simple « instrument de volupté solitaire. » Et quant aux autres, les naturalistes, leur tort inexpiable était de « compromettre dans leurs aventures le bon renom d’une grande doctrine d’art » qui avait été précisément celle de nos grands classiques : au lieu de se faire une loi « de la probité de l’observation, de la sympathie pour la souffrance, de l’indulgence aux humbles, de la simplicité de l’exécution, » ils affectaient « la superstition de l’écriture artiste, le pessimisme littéraire et la recherche de la grossièreté. » Contre tous ces « ennemis de l’âme française, » on sait avec quelle vigueur, quelle « vivacité de plume, » quelle habileté polémique aussi, Ferdinand Brunetière mena le bon combat. On peut dire qu’il ne cessa de lutter que lorsqu’il jugea avoir cause gagnée. Il n’est guère douteux, par exemple, qu’il n’ait avancé de plusieurs années, sinon même consommé « la banqueroute du naturalisme. »

Car c’est contre le naturalisme contemporain qu’il a tout de