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la guerre, ayant fait, pendant le siège de Paris, tout son devoir, et même plus que son devoir de soldat ; il avait été témoin des convulsions anarchiques de la Commune. Et nul doute que cette douloureuse expérience nationale ne lui ait laissé, comme à tant d’autres, avec de sombres souvenirs et d’ « inconsolables regrets, » le désir passionné et l’espoir indéfectible d’une France unie, disciplinée, forte comme jadis de ses traditions et de ses gloires, et comme jadis encore, capable d’imposer sa volonté aux puissans de ce monde. Qu’on relise l’article Un manuel allemand de géographie, les discours sur l’Idée de patrie, sur la Nation et l’Armée, surtout peut-être l’émouvante allocution aux orphelines alsaciennes et lorraines du Vésinet, et l’on se rendra compte combien les impressions de l’année terrible ont laissé dans sa sensibilité et dans sa pensée même de traces profondes et durables. Le patriotisme a été l’une des maîtresses pièces de la personnalité morale de Brunetière, — un patriotisme d’autant plus vibrant, ombrageux et inquiet qu’il avait été plus éprouvé et plus alarmé dans sa fierté.

Et il a été aussi l’une des pièces essentielles de sa personnalité littéraire. La littérature a été de tout temps l’un des facteurs les plus agissans de la grandeur nationale. Aucune littérature moderne ne peut se vanter d’avoir exercé sur la pensée européenne une hégémonie aussi incontestée, aussi étendue et aussi prolongée que notre littérature classique : Pascal et Molière n’ont peut-être pas moins fait que Louis XIV ou Napoléon pour répandre hors de nos frontières l’éclat du nom français, — et leur œuvre leur a survécu, et leur action n’est point encore achevée. Il suit de là que ce ne serait certes pas rendre un mince service au pays que d’entretenir dans les esprits le culte de nos grands écrivains et des rares qualités qui ont fait leur fortune ; que de veiller avec un soin jaloux à ce que rien n’altère et ne compromette le glorieux patrimoine qu’ils nous ont transmis ; que de contribuer, par ses conseils et par son exemple, sans rien répudier des nouveautés légitimes, à orienter la littérature contemporaine dans une voie conforme aux traditions les plus heureuses du génie français, de telle sorte qu’elle continue à mériter les suffrages admiratifs de l’étranger… Voit-on naître ici l’inspiration secrète et toujours présente de l’œuvre critique de Brunetière ? Quand, après quelques mois passés dans une étude de province, il revint à Paris, avec une montre en argent