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pensait-il, courte folie, devant durer le temps que durent les primevères et les permissions de trois mois : une « passade, » et rien de plus ! Pourtant, la permission de trois mois avait pris fin ; mais le galant ne semblait pas vouloir regagner les Abruzzes. Il prolongeait son séjour à Paris, demandait un nouveau congé, inventait raisons et prétextes pour ne point partir : l’amourette venait de tourner à l’amour. Conquis soudain par sa conquête, il cueillait ardemment l’heure brève, les jours et les nuits rapides. Sans cesse en parties de plaisir, redoutes ou bombances, ce bien-aimé du printemps de l’an X accompagnait sa brune amie aux bals de la Chaussée d’Antin comme aux soirées des Ministères, dansait des monacos ou valsait avec elle, la voiturait au bois de Boulogne, l’amenait déjeuner chez le traiteur de Bagatelle, dans la rotonde aux miroirs indiscrets et, Sigisbée lorgné de toute une salle, affichait son bonheur aux Italiens ou à l’Opéra. Pour lui, l’hôtel de l’aimable Fortunée, une jolie bonbonnière cachée dans les verdures, en face de Tivoli, n’avait plus de mystère : il en connaissait les détours, la chambre à coucher et l’alcôve. Souvent même, au sortir de quelque brelan, il y venait chercher bon souper, bon gîte et le reste, car jamais la chère âme ne lui refusait rien : une idylle !…

Mais tandis que cet imprudent faisait jaser la pruderie médisante, un gros péril le menaçait : la malveillance de Bonaparte.


IV. — INVITATION DE CAMARADE

La rogue et déplaisante façon dont le Premier Consul venait de tancer un militaire sans discipline avait eu de nombreux témoins. Fournier évidemment n’était pas en faveur ; chacun s’écartait donc d’un tel pestiféré. Déjà, et dès 1802, la crainte qu’inspira toujours Napoléon, enlevait toute indépendance au caractère de ses officiers. Ils savaient qu’à Paris de furtifs regards surveillaient leur conduite, et redoutant les délateurs, ils évitaient de se compromettre.

Oudinot, pourtant, se rapprocha du colonel.

Ils s’étaient souvent rencontrés, l’un et l’autre, et même, certain soir, en d’inoubliables circonstances : au café Carchy, lors de la sanglante assommade. Attablé par hasard dans l’ « antre royaliste, » Oudinot avait eu sa part des horions muscadins, attrapé aussi quelques caresses des patriotes. Plus tard, d’autres