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marquise de Custine. Chateaubriand, qui longtemps raffola de cette blonde amie, n’en soupçonna jamais les mystérieux talens. Quant à Mme Hamelin, le pudibond ministre la trouvait beaucoup trop cavalière. Cette diseuse de mots crus choquait sa bégueulerie oratorienne ; même il voulut plus tard la coffrer aux Madelonnettes. Mais Bonaparte causait plus volontiers avec la confidente de Joséphine, et la faisait ainsi politiquer.

Tous deux se connaissaient, de vieille date. Général Vendémiaire, le maigre Bonaparte avait maintes fois dîné avec la merveilleuse, en cette Chaumière cossue où l’enflammé Tallien enchâssait son idole, l’ingrate Thérésia. Il l’avait rencontrée encore à son retour d’Egypte, parmi les agités qui déjà courtisaient sa fortune, dans la maison conspiratrice de la rue Chantereine. Bien plus, mari jaloux, il était venu certain jour consulter cette amie : « Son épouse le trompait ! Fallait-il divorcer ? » Mais sérieuse, encore que ricanante, la citoyenne Hamelin l’avait doucement morigéné. « Eh quoi ! faire un esclandre ! Lui, le vainqueur des rois vouloir s’avouer… vaincu et très vaincu dans son ménage ! Comme on allait le nasarder ! » Et Bonaparte avait compris. Depuis lors, rentré dans la chambre conjugale, il ne découchait plus et pratiquait le lit commun avec ostentation. Aussi avait-il conservé pour la sage conseillère un souvenir reconnaissant. Dans sa gratitude, il l’employait maintenant aux plus discrètes diplomaties, — la faisant regarder, la priant d’écouter. Elle écoutait, elle regardait, et devenait alors féconde épistolière. Troussées d’une plume alerte, les lettres politiques de l’avisée Mme Hamelin étaient et sont encore un régal de haut goût. Bonaparte en appréciait la saveur égrillarde, et plus tard, sous la Restauration, le duc Decazes, un autre connaisseur, y trouvait ses délices. Au surplus, de mignonnes « épingles, » argent bien accueilli, récompensaient un zèle ingénieux et de secrets avis. Ces dons de l’amitié se transformèrent bientôt en une pension annuelle : douze mille livres d’abord, puis vingt, trente et jusqu’à cinquante mille francs, — un beau denier d’observatrice !… Et c’est ainsi que Napoléon voulut toujours comprendre le mérite des femmes politiques.


Or, en ce mois d’avril 1802, l’inconstant Fournier faisait le plus récent caprice de la charmeresse. Lui-même, d’ailleurs, ne se croyait qu’en simple bonne fortune. Aventure printanière,