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sur lui, de lourdes malveillances. Solliciteur éconduit, cet agité commençait à perdre patience : « Oh ! si du moins, mon général, je pouvais combattre sous vos yeux ! » Or le Consul le vit bientôt à l’œuvre, durant sa deuxième campagne d’Italie, la « campagne téméraire » qu’aimait tant à critiquer Macdonald. Venu de l’Armée de l’Ouest où, dans les chemins creux, il étraquait les Chouans de la brousse, Fournier commandait alors la 12e de hussards : les dolmans bruns et pelisses bleues. Entraînant ses lurons aux cadenettes tressées, il se montra superbe de vaillance. Dans la vallée d’Aoste, au long des cascatelles bleutées de la Dora, sous les escarpemens pierreux qui surplombent le Piémont, ses cavaliers chargèrent, et ils chargèrent encore dans la plaine, parmi les champs de maïs, les vignes en berceau, les mûriers : à la Chiusella, à Montebello, à Marengo enfin. Là surtout leurs coups de pointe avaient défoncé les plus solides bataillons autrichiens, aidé le retour offensif de Desaix, et contribué à la victoire. Mais Fournier n’avait pas obtenu les étoiles : « Trop jeune… » « Et toi-même, Bonaparte ! » dut ricaner de rage le colonel déçu… Une haine furieuse venait d’entrer au cœur meurtri de cet ambitieux.

Trop jeune, et de toutes les façons !… Divers dossiers de police nous ont décrit les traits comme la tournure de celui qu’on nommait le beau Fournier. Mais leur style de mouchard se borne à signaler : « une taille de 1 m. 75, des cheveux et des sourcils noirs, un front bas, des yeux bleus, un nez long et gros, des lèvres épaisses, un menton pointu, un visage rond marqué de petite vérole. » Allez donc découvrir, dans cette prose à l’usage du gendarme, le charmeur de tant de minois à la mode, aspasies parisiennes ou pénélopes de départemens ! Non, et l’admirable portrait de Gros est bien autrement suggestif. Fièrement campé sur un champ de bataille, le sabre à la main droite, son poing gauche appuyé sur la hanche, tout galonné et tout soutaché, François Fournier se cambre, un peu bravache, et porte haut la taille. Sa tête se dresse dédaigneuse, voire insolente, sur le collet de sa pelisse ; ses cheveux ramenés « en coup de vent » dissimulent l’étroitesse du front, ses sourcils bien arqués abritent des yeux au regard hautain ; ses lèvres sont sensuelles, et le « menton pointu » se perd dans les plis noirs de l’énorme cravate. Irrésistible ! Tel cet homme devait apparaître, lorsque, entre deux campagnes, il s’attaquait au cœur des