Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses tableaux, l’Institut et ses habits verts les attiraient fort peu ; mais, old boys, ils s’égaraient volontiers dans les « Bosquets d’Idalie. » Les bagarres enragées du Théâtre-Français, les pugilats de son parterre, leur procuraient aussi d’agréables passe-temps, et ils découvraient mille délices dans le ci-devant Palais-Royal. Si capiteux, indeed, l’ancien « camp des Tartares, » les Galeries d’Arcole et de Quiberon, avec leurs restaurans-caveaux, leurs maisons de jeu, leurs bazars de victuailles, leur ventriloque, leurs aveugles concertans, leurs nymphes aux jupons retroussés ! Tant d’étonnans spectacles étaient à voir dans ce Paris bizarre : la divine Récamier, par exemple, tout au moins sa baignoire et son lit ! Aisément, l’étranger de passage obtenait permission de visiter l’hôtel de la rue de Mont-Blanc, ce temple qu’habitait l’insensible idole. Il avait licence d’admirer à loisir les salons où chaque septidi s’énervaient tant d’espoirs inutiles ; la chambre pompéienne ornée, comme un sanctuaire, de trépieds odorans et de lampadaires antiques ; le lit, si chastement étroit, dressé sur une estrade, où l’Artémis mariée dormait son sommeil virginal ; même la salle de bains, toute lambrissée de glaces, où elle aimait à s’admirer en une « toilette de paradis. » L’exhibition du trop peu discret gynécée émerveillait jusqu’aux méthodistes. Et pourtant, le Consul Bonaparte excitait plus encore leur curiosité.

Un étrange revirement s’était produit en l’âme anglaise ; le « pacificateur des continens et des mers » avait su pacifier la haine britannique : John Bull n’exécrait plus Boney. Maintenant, de Douvres à Inverness, « hurrah pour Bonaparte ! » Il avait cessé d’être l’homme pâle monté sur un cheval pâle, une des bêtes apocalyptiques, ou bien ce gnome à faciès de squelette qu’aimait à crayonner Gillray. Il n’était plus le monstre d’infamie si malmené par les journaux de Londres : le fusilleur des royalistes à Toulon, le malandrin voleur de tant d’argent en Italie, le poltron qui s’était caché dans les marais d’Arcole, le massacreur des innocens mamelouks, l’empoisonneur des blessés de Jaffa. Non, et « hurrah pour Bonaparte ! » L’outrage avait cédé la place au dithyrambe ; le mépris à l’admiration. Héros sans rival dans l’histoire et pareil à quelque « lion de Juda, » on proclamait ce favori de la victoire plus victorieux encore que Marlborough : Alexandre et César à la fois, par la fortune, par le génie !… On débarquait en France avec l’espoir de le connaître, de l’entendre, de s’en remplir les yeux. « Il me tardait, a raconté