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parade consulaire, le diseur de brocards se glissait dans le repaire du méchant fou avec un placet dans la poche : il y venait solliciter. Bonaparte l’accueillait d’ordinaire sans trop de brusquerie, car il témoignait à la vieille roche d’altières complaisances. Non, certes, qu’il l’aimât : — la « Paille au nez » conserva toujours des rancœurs contre les « paltoquets à particule, » tourmenteurs à Brienne de son hirsute enfance ; — mais couchant aujourd’hui dans le lit des Bourbons, il entendait être servi autant et mieux que les Bourbons eux-mêmes. Son rêve était déjà d’une Maison consulaire, d’une sorte d’Œil-de-bœuf où nippés à la française, épée en verrouil, catogan sur la nuque, d’anciens talons rouges stationneraient dans ses antichambres. Au faubourg Saint-Germain, on devinait ces injurieux désirs, et tout en ricanant, les malins apprêtaient leurs manchettes. Les jours étaient proches, — chacun le comprenait, — des charges recouvrées à la Cour et des sinécures bien rentées, des chambellans, des maîtres de cérémonies, des veneurs, des écuyers cavalcadours. Puisque ce M. Bonaparte allait être bombardé « empereur des Gaules, » — eh bien ! on se résignerait à marcher devant lui ; devant lui on ouvrirait les portes : noblesse oblige, et nécessité fait loi…

Des Anglais, en négligé de touriste, mettaient une sombre tache sur tant de brillantes toilettes. Cette barbare Albion semblait ne rien savoir des lois si rigoureuses qu’édictait le « Suprême bon ton : » les femmes s’étaient empanachées de turbans à plumes, et les hommes avaient chaussé leurs bottes !… Depuis la paix d’Amiens, quelques « milords, » flanqués de leurs miladies, commençaient à se montrer sur les boulevards. Ils étaient descendus dans les auberges à la mode, rue de la Loi ou place de la Concorde, et y faisaient d’assez fortes dépenses. On les accueillait joyeusement, voire avec déférence, car les temps n’étaient plus de « la perfide Carthage, ni de sa foi punique. » Tout Anglais était, à présent, un penseur, un philosophe, un sage, quelquefois un « fou raisonnable, » mais aux piquantes manies, à l’excentricité de haut goût. Pour la plupart, ces gentlemen menaient un gai voyage : le Paris de l’an X les amusait. Certes, ils déclaraient mesquine cette Babylone aux rues malpropres : aucun trottoir, et trop peu de réverbères ; la cuisine des mangeurs de grenouilles n’était point à leur goût : fadasses les condimens, chefs-d’œuvre de Véry et de Robert ; le Louvre et