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Hannibal s’était montré aussi habile tacticien qu’éminent stratège ; il triomphait cette fois sans coup férir. L’effroi se répandit dans Rome : on croyait déjà apercevoir les ennemis aux portes de la ville, et on s’attendait aux pires calamités. Le Carthaginois ne justifia pas ces craintes. Il lui parut sans doute téméraire de tenter l’assaut d’une place munie de bons remparts et pleine de ressources, sans pouvoir compter sur la contrée qui l’entourait. Si les Latins s’étaient unis à Hannibal, c’en était fait de Rome et de sa fortune ; leur fidélité décida du sort de l’Italie et des destinées de l’univers.


V

Le lac de Trasimène, à proprement parler, n’a pas d’histoire ; il a suivi la destinée de la région au milieu de laquelle la Providence l’a placé. Étrusque, puis romain, il appartint à Charlemagne, devint féodal et finit par connaître la domination de Pérouse. Cette antique cité se distingua toujours de ses voisines par l’esprit belliqueux de ses habitans. Elle ne parvint jamais pourtant à conquérir dans sa plénitude l’autonomie politique. Il fallut la rivalité séculaire des papes et des empereurs d’Allemagne pour lui assurer une indépendance qui en fait, sinon en droit, ne connaissait guère de limites. Les Pérugins s’administraient eux-mêmes, ils déterminaient le montant des taxes, choisissaient leurs magistrats, faisaient la guerre selon leur bon plaisir. De ce dernier privilège ils usèrent sans mesure et sans remords ; mais intraitables vis-à-vis des cités rivales, ils se montraient accessibles aux humbles, équitables, bienveillans même à l’égard de ceux qui acceptaient de bonne grâce leur protectorat.

Cette politique résolue en imposait aux communes voisines. Dès 1139, les habitans de l’isola Polvese lui envoient des ambassadeurs. Peu après, Castiglione del Lago sollicite et obtient sa protection. Le lac de Trasimène lui fut dès lors à ce point assujetti qu’on prit peu à peu dans la région l’habitude de le désigner sous le nom de Lago di Perugia. La plupart des cartes publiées aux siècles derniers ne portent que cette dénomination.

Pérouse conserva longtemps sa situation prépondérante. Cependant, à partir du retour d’Avignon, les papes ne cessèrent pas d’étendre et d’affermir leur autorité dans les limites du