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race, d’une civilisation : d’un côté, l’Italie latine, étrusque et grecque ; de l’autre, l’Afrique sémitique et mélanienne. C’était un conflit qui rappelait la guerre de Troie, un choc semblable à celui qui amena l’écrasement des Huns à Châlons et des Sarrasins à Poitiers, un duel comme le monde en verra demain ou après-demain entre les blancs, fils et neveux de la vieille Europe, et les jaunes de l’Extrême-Orient. Pareilles collisions, où le destin décide en dernier ressort, méritent de trouver des Homère pour chantres.

Si les dieux s’étaient prononcés en faveur de Carthage, la civilisation prenait en Occident une direction inconnue. Les Phéniciens dominaient sans conteste la Méditerranée, assujettissaient ses îles et ses côtes, fondaient partout des colonies, régnaient souverainement sur cette région privilégiée qui fut pendant une longue suite de siècles le centre et comme le cœur du monde. Voilà pourquoi le nom de Trasimène, — une des principales étapes de la marche victorieuse du Carthaginois, — est familier à tous ceux qui ont reçu une éducation classique. Ne sommes-nous pas, en effet, les fils de la culture romaine, latins, celtes, bretons, Scandinaves, germains et slaves, que nous habitions l’ancien ou le nouveau continent, Paris, New-York ou Sydney ?

Bien d’autres souvenirs se rattachent au Trasimène. Le moyen âge n’a pas moins généreusement contribué que l’antiquité à enrichir ses annales. Il a ses légendes païennes et mystiques. Il a ses îles, les villages qui se regardent dans ses eaux, des coteaux ombragés, des montagnes violettes à l’horizon, une esthétique spéciale digne de solliciter l’admiration des âmes artistes et le talent des peintres. Qu’il me soit permis d’errer sur ses bords et de m’attarder sur son onde, afin de pouvoir confier à ceux qui le dédaignent les raisons qu’ils auraient de le visiter.


I

Le lac de Trasimène est situé en territoire ombrien, sur les confins de la Toscane. Son niveau s’élève à 258 mètres au-dessus du niveau des deux mers. Il mesure 59 kilomètres de tour. Trois îles : la Polvese, la Maggiore et la Minore, surgissent de son sein, semblables à des corbeilles d’émeraude sur une nappe azurée.