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Mais, dit-on encore à Vienne, l’article 25 du traité fie Berlin reconnaît à l’Autriche-Hongrie « le droit de tenir garnison et d’avoir des routes militaires et commerciales sur toute l’étendue » du Sandjak de Novi-Bazar. À quoi on répond, à Saint-Pétersbourg, que le mot de « routes » ne comprend pas les chemins de fer et que la preuve en est à l’article 29 qui, en les nommant expressément à côté des routes ordinaires, les en distingue. Ce n’est peut-être là qu’une subtilité ; mais, même si on ne conteste pas le droit de l’Autriche, on peut se demander si elle en a fait un usage opportun. Il ne s’agit, d’après elle, que d’un chemin de fer économique. On n’en croit tien à Saint-Pétersbourg ; on y fait remarquer que les intérêts économiques de l’Autriche étaient déjà desservis par une ligne ferrée qui va aussi à Salonique, et qui a 200 kilomètres de moins que la nouvelle. On conclut que celle-ci ne peut avoir qu’un caractère stratégique, et que sa construction modifiera sensiblement l’équilibre des puissances dans les Balkans, notamment celui de la Russie à l’égard de l’Autriche. Que deviennent alors les arrangemens de Muerszteg ? Ils sont violés, dit-on à Saint-Pétersbourg, tandis qu’on affirme à Vienne qu’ils n’ont rien à voir dans l’affaire et qu’ils ont été toujours respectés. Nous n’avons pas à entrer dans une controverse où la France n’a pas d’intérêts directs à défendre, et nous nous bornons à reproduire les argumens des deux parties. Mais comment ne pas reconnaître que la confiance réciproque, qui était à la base des arrangemens de Muerszteg, a reçu une atteinte sérieuse ? La nouvelle lancée, il y a un mois, par M. d’Ærenthal a produit en Europe un effet comparable à celui d’un rocher qui, se détachant d’une cime, tombe brusquement dans un lac tranquille et en trouble l’eau jusque dans ses profondeurs. Le lendemain de l’événement, les rapports des puissances entre elles n’étaient plus tout à fait les mêmes que la veille. On a écrit à ce sujet beaucoup de choses exagérées dans les journaux. On a fait allusion, par exemple, à un nouveau classement des puissances qui grouperait d’un côté la Russie, l’Angleterre, la France et l’Italie, et de l’autre l’Autriche et l’Allemagne. Encore l’Allemagne éprouve-t-elle quelque embarras de tout le bruit qui s’élève autour de l’affaire, et, sans désavouer son alliée, laisse-t-elle entendre qu’elle n’est pour rien dans l’initiative qui a été prise : il est vrai qu’on ne la croit pas beaucoup. Et quant à l’Autriche-Hongrie, elle est divisée ; on ne pense pas, on ne parle pas de même à Vienne et à Pest ; on blâme volontiers ici ce qui a été fait là. C’est aller bien vite et bien loin, c’est dépasser certainement la mesure exacte des choses que de