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l’Allemagne appartient à la fois au roman régionaliste et au roman social. Les Amitiés françaises relèvent du traditionalisme seul, tandis que la trilogie des Déracinés, de l’Appel au soldat et de Leurs figures, — qui forment le « roman de l’Energie nationale, » — apporte une contribution importante non seulement au roman collectif et social, mais encore au roman historique. M. Barrès, en effet, y fixe l’histoire de ces vingt dernières années en décrivant leurs convulsions, du boulangisme au panamisme.

Rien n’est curieux comme l’évolution de cet écrivain venu de l’analyse minutieuse de son moi, de l’égotisme et de l’individualisme le plus accusé au pur traditionalisme. Cette évolution correspond à l’orientation de sa mentalité esthétique, qui l’a conduit au grand roman d’idées et de mœurs collectives et aussi de peinture sociale, après que les défauts et les écueils du roman psychologique l’eurent dégoûté de l’auto-observation poussée à l’extrême. Comme la plupart des penseurs de sa génération, M. Maurice Barrès a été frappé de l’importance exceptionnelle prise dans la vie intellectuelle contemporaine par l’idée sociale. C’est un fait que les observateurs et les moralistes s’inquiètent désormais des bouleversemens possibles, des théories qui les préparent et de l’opposition qu’ils rencontrent. Le roman devait utiliser cette préoccupation devenue générale : et, tout naturellement, nous avons rencontré dans les romans de M. Barrès un reflet de ces inquiétudes. C’est à l’actualité la plus immédiate que l’auteur des Déracinés s’est attaché. Il a mis une passion et une vibration d’autant plus frémissantes dans ses tableaux, qu’il a été lui-même mêlé de fort près aux événemens dont il parle, qu’il a été témoin et acteur dans ces batailles politiques et qu’il a pu les observer en annaliste journalier.

Il lui devenait aisé de donner une forte unité à son œuvre, du jour où le respect de la tradition s’imposait à son esprit et à son cœur. Aux déclamations des sophistes qui aspirent de plus en plus à un régime opposé à tout ce qui fut la vie sociale de jadis, l’auteur des Amitiés françaises a répondu par la calme revendication du grand principe fondamental de toute son éthique : « à savoir : que le respect de la tradition est essentiel dans la vie d’un peuple ; qu’il y a entre les générations comme entre les individus d’une même race une solidarité qui est la principale source de leur énergie ; que c’est dans le sol même