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foi. Pour vous en particulier, ces six semaines vont m’offrir une précieuse donnée sur votre destination finale. Elle m’a paru flotter jusqu’ici entre la théorie et la pratique, quoique j’incline de plus en plus vers la première supposition. L’expérience spontanée que vous accomplissez maintenant achèvera de me décider en l’un ou l’autre sens…


Ensuite il lui rend compte d’une instruction qu’il vient de donner à ses principaux disciples en vue de la propagande.


Le positivisme doit s’adresser d’abord à ceux qui obéissent, pour ennoblir et adoucir leur condition nécessaire. Mais il doit maintenant s’appliquer surtout au petit nombre de ceux qui sont vraiment nés pour gouverner, afin de les tirer de la compression qu’ils éprouvent sous les médiocrités officielles que laisse seules surgir l’anarchie actuelle. Ce que Mahomet prescrivait à ses prédestinés, ce que Cromwell prêchait à ses saints, je dois le recommander encore mieux à tous les éminens positivistes, théoriques ou pratiques : emparez-vous du monde social ; car il vous appartient, non d’après aucun droit, mais suivant un devoir évident, fondé sur votre exclusive aptitude à le bien diriger, soit comme conseillers spéculatifs, soit comme commandans actifs. Il ne faut pas dissimuler que les serviteurs de l’Humanité viennent aujourd’hui écarter radicalement les serviteurs de Dieu de toute haute direction des affaires publiques, comme incapables de s’y intéresser assez et de les comprendre réellement, ainsi que je l’osai dire en ouvrant mon cours de cette année[1]. Ceux qui ne croiraient sérieusement ni en Dieu, ni en l’Humanité, sont moralement indignes, tant que dure leur maladie sceptique. Quant à ceux qui prétendraient, au contraire, combiner Dieu et l’Humanité, leur infériorité mentale est par cela même évidente, puisqu’ils veulent concilier deux régimes totalement incompatibles, de manière à prouver qu’ils ne sentent les vraies conditions d’aucun d’eux.

Ce hardi langage n’éloignera de nous que ceux qui sont déjà les ennemis irréconciliables du positivisme. Mais il nous attirera l’active adhésion des dignes ambitieux, qui ne peuvent aujourd’hui trouver autrement leur place sociale. Leur honnêteté une fois garantie, d’après une suffisante subordination de leur instinct privé à leur office public, tous les dangers que pourraient susciter leurs énergiques passions seront assez prévenus ou contenus par leur sincère croyance, d’ailleurs spontanée ou systématique, au principe fondamental de la politique positive, la division normale des deux puissances spirituelle et temporelle. Vous concevez combien il importe de ne pas présenter le positivisme comme hostile aux vrais ambitieux, qu’il vient autant exciter que régler.

Son essor politique doit suivre une tout autre marche que celui du catholicisme, qui, nullement social en lui-même, et surgissant sous un régime

  1. Le Cours philosophique sur l’histoire générale de l’Humanité, professé dans une salle du Palais-Royal, tous les dimanches à midi, à partir du 6 avril 1851. L’entrée était gratuite ; le cours s’adressait spécialement aux « prolétaires ; » mais Comte se plaignit bientôt de ce que les prolétaires ne répondaient pas suffisamment à son appel.